Il arrive que la pire des œuvrettes, pour peu qu’on lui prête une oreille aiguisée, vous porte au bord du vertige métaphysique. Je te survivrai, par Jean-Pierre François*, par exemple… J’en entends déjà qui ricanent, et pourtant ils n’auraient jamais dû l’abandonner avant le quatrième couplet, cette scie agaçante. Ils auraient entendu ceci : « Je te survivrai quelque part en toi. »
Et aujourd’hui, ils pourraient m’aider à comprendre… J’admettrais, sans réfléchir plus loin, « Je survivrai quelque part en toi » : « Je » étant mort, et « Toi » toujours vivante, « Je » survivrait en elle, durant qu’elle visionnerait un film de Jean-Luc Godard, ou bien que, debout chez Carrefour, elle hésiterait entre deux saveurs de yaourt – pour citer deux moments extrêmes, mais parfaitement plausibles, du quotidien de « Toi », que je ne connais pas. Mais il y a ce « te » qui me tarabuste : Si « Je » survit à « te », c’est que « Toi » est morte, et « Je », alors, ne peut plus survivre en « Toi ». Car même si, comme on le devine, « Je » se passera du Mépris sans dommage, il lui faut tout de même un yaourt de temps à autre pour tenir.
René Troin
* Dans le rôle de l’interprète. Paroles et musique sont de Didier Barbelivien.
Il est vrai que parfois le surréalisme poétique explore des concepts tellement porteurs d’innovations que nous avons du mal à nous plonger dans ces abysses vertigineux de création langagière… Je me comprends… quoique…
La séance de « psychanalyse grammaticale » du mot à mot est épatante.
Ah, tous ces messages injustement mal compris !… Tiens, par exemple, Alain Barrière : « Ma-a-a vi-i-ie… J’en ai vu des amants !… » Qui s’est jamais soucié de rendre grâce à ce chanteur pour ce courageux, et précurseur, coming-out ?
P.S. Monsieur Troin, n’allez pas imaginer que c’est le titre de votre billet qui me fait écrire ces choses.
🙂
Moi avant de survivre en toi, j’aimerais comprendre le lien avec le yaourt qui lui se périme.
Puis-je me périmer en toi (yaourt) ?
Il n’y a aucun lien, Catherine. Ce yaourt est un produit libre puisqu’il n’a pas d’étiquette.
Dans la même veine paradoxale, on aura également admiré : « Je te mangerai crue si tu ne me reviens pas », pour quoi j’ai une tendresse particulière. Roda-Gil, tout de même…