« Passé un temps » – comme on se plaît à dire du côté de Lyon –, lorsqu’une polémique naissait autour d’une personnalité de la chanson, c’était en général à cause d’une de ses chansons dont le contenu choquait les consciences parce qu’il contrevenait à la pudeur, à la morale bourgeoise, et menaçait éventuellement l’ordre établi. Aujourd’hui, les causes de ce genre de controverses se sont déplacées vers les déclarations intempestives des célébrités de la chanson, dans la presse ou sur l’ex-tweeter (X) et autres réseaux sociaux.
Nous sommes bien loin des querelles initiées par Le déserteur de Boris Vian, Le gorille de Georges Brassens et plus tard Les deux oncles, puis Mourir pour des idées, Les bourgeois, Les filles et les chiens de Brel, ou encore Ils ont voté, Mon général de Léo Ferré. Le contenu même des paroles de ces chansons dites « à texte » portait à la polémique. Sans remonter aussi loin, dans un domaine qu’il est peut-être plus difficile de qualifier de « chanson de parole », quelques rappeurs ont frisé la correctionnelle à cause de leurs textes, NTM avec Police, et plus récemment Orelsan avec Sale pute. Même s’il est difficile de faire la part entre ce qui relève du désir de faire le buzz et ce qui serait une expression sincère.
Aujourd’hui, la polémique survient à la suite des propos sur scène d’Izia Higelin qui s’en prend violemment à Emmanuel Macron, de ceux de Juliette Armanet concernant Les lacs du Connemara chantés par Michel Sardou, ou encore ceux de Médine, rappeur sur le retour qui flirte avec l’antisémitisme.
Les mauvaises langues auront tôt fait de dire qu’il serait vain de chercher un sujet de dispute dans les paroles de leurs chansons tant elles sont insipides et banales. Certes les pompiers français auraient pu polémiquer en écoutant Armanet vouloir Brûler le feu, mais la polémique aurait vite été éteinte par ces spécialistes !
Bien sûr, ces célébrités-là ne sont pas les premières à faire parler d’elles en dehors de leurs « œuvres ». Il y a plus longtemps l’immarcescible Michel Polnareff a défrayé la chronique en posant les fesses à l’air pour l’affiche annonçant son spectacle, le non moins immarcescible Serge Gainsbourg a fait causer dans les chaumières après avoir brûlé un billet de banque en direct à la télé. Ce maître de l’esclandre médiatique avait aussi créé la polémique avec sa chanson Je t’aime, moi non plus. A cheval sur deux époques, il jouait pour ainsi dire sur les deux tableaux, la pub et la provoc par les chansons et par le style de son personnage.
Michel Sardou, incriminé par l’Armanet, était encore de l’ancienne école et il savait bien choisir les chansons provocatrices et réacs qu’il chantait. Tout comme Philippe Clay, aujourd’hui bien oublié, et son Mes universités post-Mai 68.
Il y eut aussi quelques polémiques de cour d’école orchestrées par l’industrie du disque, comme l’opposition entre Johnny et Antoine, mais c’était assez gentillet.
Plus tard, Renaud a choqué nos amis anglais avec son Miss Maggie, et Maxime Le Forestier a stupéfié quelques vieux babas cool en racontant que son Parachutiste avait été écrit pour faire rigoler ses copains de chambrée à l’armée ! Mais il n’y eut pas matière à fouetter un chat.
Nous étions alors assez loin du juge sodomisé par un gorille en rut, des bourgeois qui sont cons comme des cochons, ou encore des diverses graines d’ananar plantées par Léo.
La puissance de feu des médias actuels étant ce qu’elle est, la polémique enfle très vite et les « artistes » et leurs équipes ont vite compris l’intérêt publicitaire qu’elle représente. D’autant que les paroles des chansons n’ont plus vraiment d’importance, en tout cas bien moins que le clip et le personnage de l’artiste médiatisé.
Ces « pauvres » médias s’occupent comme ils peuvent, ils font leur miel de ces tempêtes dans un verre d’eau, ça meuble le silence et ça évite de parler des sujets qui fâchent. Une chose est sûre : la chanson ne sort pas gagnante de ces épisodes, mais on se dit qu’elle a perdu la bataille depuis si longtemps qu’il est peut-être inutile d’en parler encore. Quoique… l’Armanet ayant classé Les lacs du Connemara parmi les « chansons de droite », et l’été n’étant pas tout à fait terminé, nous serions bien tentés à notre tour d’évoquer certaines « chansons de gauche » lourdingues ou insupportables – ça existe ! –, mais à quoi bon polémiquer ?
Floréal et Pierre