Si les chansons pouvaient crier, The House of the Rising Sun dirait : « Johnny m’a trahie ! » C’est vrai. Traduits mot à mot, les premiers vers de ce traditionnel américain (1) donnent quelque chose comme : « Il y a une maison à la Nouvelle Orléans, à l’enseigne du Soleil levant / Qui a causé la perte de bien des pauvres filles, et moi, mon Dieu, je suis l’une d’elles. » On voit tout de suite qu’ils sont très éloignés de ceux-ci : « Les portes du pénitencier / Bientôt vont se fermer / Et c’est là que je finirai ma vie / Comm’ d’autres gars l’ont finie. » Qui pourrait, même un instant seulement, imaginer Johnny dire « je » comme s’il était « elle » ? Dylan l’a fait, à ses débuts, alors qu’il se posait en continuateur de Woody Guthrie. Joan Baez, son alter égale, a chanté « I am a man of constant sorrow (2) [Je suis un homme au chagrin sans fin] ». Mais Johnny, soyons sérieux ! Même si l’Idole maîtrise le grand écart au point de passer sans ciller des « hippies de San Francisco […] des fleurs dans les cheveux » à « Bonnie and Clyde […] s’échappant de justesse en riant, [en laissant derrière eux] un brave homme […] dans une mare de sang », il n’ira pas jusqu’à se glisser dans la peau d’une fille. D’autant qu’en France, ça ne se fait guère. Quand un homme et une femme s’emparent d’une même chanson, ce n’est, en règle générale, pas tout à fait la même. « Costume clair et chemis’ blanche / Dans le sous-sol du Mikado / J’en ai passé des beaux dimanches / Des bell’s venaient en avalanche / Et vous offraient comme un cadeau / Rondeurs du sein et de la hanche/ Pour qu’on leur fass’ danser l’ tango », chante Ferré dans Le Temps du tango, dont Catherine Sauvage livre une version-miroir, toilettée sur mesure par le parolier, Jean-Roger Caussimon : « Costume clair et chemise blanche / Dans le sous-sol du Mikado / Y avait nos danseurs du dimanche / On arrivait en avalanche / Et l’on offrait comme un cadeau / Rondeurs du sein et de la hanche / Pour qu’ils nous fass’ danser l´tango. » Et chez les yéyés, c’est tout pareil. « Jolie petite Sheila / Jolie petite Sheila / C’est toi qui as pris mon cœur », jubile Lucky Blondo. « Jolie petite Sheila / Jolie petite Sheila / C’est le nom que tu m’as donné », récite Sheila comme une carte de visite pour son entrée dans la carrière (3).
Si pas mal d’interprètes femmes chantent des chansons d’hommes sans modifier le texte, l’inverse est très rare. Gainsbourg l’a fait, en reprenant Mon légionnaire. Christian Camerlynck aussi, qui, dans ses tours de chant, interprète, sans changer un mot, Une sorcière comme les autres d’Anne Sylvestre, et Je suis la femme de Jacques Debronckart. Si le premier titre est un classique, on connaît moins le second. Selon Christian Camerlinck, le jour d’octobre 1980 où Jacques Debronckart lui a montré cette chanson, il lui a dit aussi : « Je ne verrais que Francesca [Solleville] la chanter, mais je ne suis pas sûr qu’elle en veuille. » Christian Camerlinck, lui, n’a pas hésité et l’a « immédiatement interprétée ». Et à sa connaissance, il est le seul à le faire.
Floréal Melgar
(Ci-dessus : Christian Camerlinck, photographié par Antonio Pedraza, au Forum Léo-Ferré.)
René Troin
(1) La mélodie provient d’une vieille ballade anglaise, sans doute apportée en Amérique par des immigrants.
(2) On l’entend sur l’album Very Early Joan (publié en 1982, mais incluant des enregistrements publics inédits de la période 1960-1963). Très vite, la chanteuse, peut-être soucieuse d’élargir son public au-delà des puristes des clubs de folk, a féminisé le titre en Girl of Constant Sorrow (album Joan Baez, Vanguard, 1960).
(3) C’est Claude Carrère, l’« inventeur » de Sheila, qui signe les deux adaptations de la chanson originale de Tommy Roe.
(4) Le CD s’ouvre sur les six premiers quatrains du Bateau ivre, dits par Hugues Aufray.
(5) Qu’on n’entend pas en français : Her et Him devenant l’, les deux titres se traduisent par Et je l’aime.
(6) Douze ans plus tard, ce n’est plus le cas. Les garçons de Kiss font moins les fiers : Then She Kissed Me (Et puis, elle m’a embrassé) conclut l’album Love Gun.
Où peut-on écouter une version « trad. » de ce tube ?
Billet très éclectique puisqu’il tend vers la parité dans son « étude de genre »…
Bravo !
The House of the Rising Sun, par Dave Von Ronk…
https://www.youtube.com/watch?v=NX2ZYLTGu4E&feature=kp
… et par Bob Dylan, qui a un peu volé l’arrangement de Dave Von Ronk :
http://www.jukebox.fr/bob-dylan/clip,house-of-the-rising-sun,uusl0.html
A signaler que Colette Magny a interprété cette chanson en français.
Sur quel album cette version en français figure-t-elle ? Je ne connais que son interprétation en anglais sur Chansons pour Titine et/ou Blues.
René, il y a aussi la version de Sony and Cher, produite par le même Phil Spector, dans laquelle il et elle s’embrassent simultanément. Un vers miroir …
http://www.youtube.com/watch?v=rHmFzlS3O80
« And then I kissed him », dit-elle. « And then I kissed her », dit-il. Et leurs voix se mêlent. Merci, Michèle. Belle pièce au dossier. En plus, au bout du lien que tu donnes, Sonny and Cher chantent en direct à la télévision. Rare à l’époque.
Pareil, mais le contraire pour une version française d’un « tube mondial » dont la traduction colle assez bien à la version originale américaine de Bobbie Gentry (une jeune femme ACI), par Joe Dassin (?), et qui remplace le personnage principal et le titre de la chanson : Ode to Billie Joe [MacAllister], un jeune adolescent par « Marie-Jeanne »…
Le choix de la ville (Bourg-les-Essonnes) assez ridicule, mais c’est pour la rime avec « Garonne »…
Dans la version anglaise, « Tallhatchie bridge » rime avec « Choctaw Ridge ». Ça a quand même une autre gueule…
https://www.youtube.com/watch?v=HaRacIzZSPo
L’adaptation française a été faite par Jean-Michel Rivat et Frank Thomas. Bourg-les-Essonnes, mis à part (et encore, puisque le lieu est fictif, on peut le situer n’importe où), la transposition est plutôt réussie – cela n’engage que moi.
J’ai, moi-même, fait une adaptation de The House of the Rising Sun, la voici :
Le Soleil levant.
1/
Il y a une maison dans le vieil Orléans
elle s’appelle Le Soleil Levant
elle fut la ruine de bien des pauv’ filles
et elle M’sieur c’en est une
2/
Sa mère cousait à toute heure
de sacrés bons vêtements
son fiancé était bringueur flambeur
là-bas dans le vieil Orléans
3/
Mais tout c’ qui compte pour le bringueur
c’est d’ rouler sous la table
et quand il est heureux le flambeur
c’est qu’il joue à qui perd gagne
4/
Oh dit’ donc à sa petite sœur
de ne pas la suivre en enfer
qu’elle n’aille pas vers le vieil Orléans
à la maison du Soleil Levant
5/
Une jambe sur le marchepied
l’autre dans le compartiment
elle s’en retourne vers le vieil Orléans
traîner son boulet enchaînée
6/
« Je m’en reviens vers le vieil Orléans »
dit-elle le regard au loin
pour faire ma vie jusqu’à la fin
à la maison du Soleil Levant »
7/
Il y a une maison dans le vieil Orléans
elle s’appelle Le Soleil Levant
elle fut la ruine de bien des pauv’ filles
et elle M’sieur c’en est une
Trad. V. F. : Jean Lapierre