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EscudderoLeny Escudero a vu le jour en Espagne en 1932, mais n’aura vécu que ses sept premières années dans son pays natal, contraint de partir pour la France avec ses parents après la victoire des troupes franquistes sur les républicains espagnols. Mais pour savoir ce que furent ces sept années passées outre-Pyrénées et celles qui suivirent, en Mayenne,  il nous faudra patienter.
Ma vie n’a pas commencé (1) débute en effet au jour où Leny Escudero, à 19 ans, décroche son premier boulot de manœuvre terrassier, en région parisienne. Il intégrera ensuite une équipe de « poseurs, mateurs et fondeurs » avant de devenir carreleur. Les amoureux du vocabulaire découvriront dans ces chapitres quelques termes bien oubliés de ces métiers manuels qu’a exercés Leny Escudero. Mais leur intérêt provient surtout de la description minutieuse que fait leur auteur de cette vie de jeune ouvrier désargenté, à Paris, dans les années 50. On mesure mieux ce qu’il aura fallu de courage et de ténacité à cet homme, avec de pareilles origines et ce début de parcours dans la vie, pour devenir le grand artiste que l’on sait.
Ces premiers chapitres lui offrent également l’occasion de brosser quelques portraits savoureux de personnages rencontrés sur des chantiers ou lors de moments de détente : René le solitaire, ex-taulard, une « armoire à glace aux yeux vert pâle » et « roi du poulet rôti » ; Rio, « avec sa gueule façonnée par les tempêtes de la vie » ; « Beulbeul » le chef de chantier ; Mado, « aux cheveux comme deux ailes de corbeau », qui lui inspirera deux chansons ; « Dédé la Chauffe », autre ex-taulard pour qui Leny Escudero se fera « porteur de valises » au contenu inconnu mais sans doute pas très catholique. Une grande honnêteté parcourt ces pages, car rien n’est caché de certaines fréquentations qu’on dit douteuses (on y croise même les fameux Blousons noirs) ou de certaines petites combines pas vraiment en phase avec une stricte morale judéo-chrétienne. Un bel hommage est rendu ici à quelques femmes de rencontre et surtout à ces ouvriers du bâtiment côtoyés durant quelques années, auprès desquels Leny Escudero dit avoir réappris
« la chaleur de la solidarité (…) perdue dans [son] enfance et [son] adolescence ».
On retient de cette première partie l’importance capitale attribuée au sens de l’amitié, au comportement exigeant une certaine droiture. Et c’est avec cette mentalité sinon forgée du moins renforcée auprès de ses camarades ouvriers du bâtiment que Leny Escudero pénétrera dans un tout autre monde, celui de la chanson. Autant dire qu’avec pareille ligne de conduite notre auteur se préparait à quelques déconvenues…
La seconde partie du livre conte donc son arrivée dans ce monde, qui ne fut pas facile. Car, entre autres soucis, sa biographie (réfugié politique, titulaire du seul certificat d’études et ancien du bâtiment) fera office d’imposture, passera aux yeux de beaucoup comme une invention de Jacques Canetti destinée à fabriquer un personnage, comme cela se faisait en ce temps-là.  L’éthique toute particulière de Leny Escudero, pour qui « la parole donnée vaut contrat », contribuera aussi, on s’en doute, à lui faire vivre certaines difficultés. Mais là encore, l’accent est mis sur les quelques amitiés et rencontres heureuses qui l’aideront à les surmonter. De belles pages sont ainsi consacrées à Oswaldo D’Andrea, Léo Missir, Laura Betti, d’autres encore. Du côté de ses collègues artistes, et principalement chanteurs, Leny Escudero rend hommage à celles et ceux qui  lui tendirent la main ou dont l’amitié lui fut chère, avec peut-être, croit-on deviner, une tendresse particulière pour
Pia Colombo. Mais on y rencontre aussi Gribouille, Jean Yanne, Fernand Raynaud, Raymond Devos, Juliette Greco, Sylvie Vartan…
Mais si Leny Escudero a de la mémoire pour ceux qu’il apprécia, il en a conservé aussi pour ces artistes qui ne furent pas des plus sympathiques à ses yeux. Quelques-uns se voient ici égratignés, mais jamais gratuitement, car les raisons en sont toujours fournies. Yves Montand, Charles Aznavour, Pierre Perret, Charles Dumont, Serge Lama, Diane Kurys, Jack Lang ou Giorgio Strehler en prennent ici pour leur grade, à des degrés divers.
En courts chapitres qui sont autant de petits tableaux vivants et fort bien écrits, Leny Escudero raconte les bons et mauvais moments vécus avant de parvenir à être cet artiste reconnu par un large public qui lui restera fidèle. On passe ici très aisément des anecdotes plaisantes, comme cette brève rencontre avec Boris Vian ou le parrainage inattendu de Félix Leclerc, à d’autres plus graves, telle cette incompréhensible détestation que lui vouera toujours Jacques Brel, présenté ici sous un jour peu agréable même si l’auteur prend soin de souligner son admiration pour le chanteur.
Avant le préambule de ce livre, l’éditeur a placé une phrase du grand géographe anarchiste Elisée Reclus. En conclusion de cet ouvrage, ce même éditeur a eu la bonne idée de reproduire l’excellent article paru dans Le Monde libertaire que Nicolas Choquet, animateur de l’émission « Deux sous de scène », sur
Radio-Libertaire, consacrait à Leny Escudero à l’occasion d’un gala de soutien à cette station. Une façon, sans doute, de rendre un bel hommage à l’auteur, homme libre, homme de parole.

Floréal Melgar

(1) Leny Escudero, Ma vie n’a pas commencé, éditions du Cherche Midi, collection
« Documents » dirigée par Jean-Paul Liégeois.

3 commentaires »

  1. Michèle Dubromelle dit :

    J’ai eu le bonheur d’interviewer Leny Escudero un samedi de septembre 1992 à La Baconnière, une commune de Mayenne où il était venu chanter pour soutenir l’association des parents de l’école publique, menacée de fermeture. Il avait parlé avec émotion de la communale de son enfance, dont il fit plus tard une chanson. Chez lui, à Giverny, il s’était aussi battu pour que l’école ne ferme pas, considérant que la disparition programmée des écoles rurales était une calamité. A La Baconnière, il a donné son nom à l’école, avec quelque fierté : « Je préfère voir mon nom sur la porte de l’école plutôt que sur n’importe quel panthéon. Je me fous des médailles. » Il avait aussi évoqué l’absurdité de la guerre d’Algérie, ses débuts aux Trois Baudets et sa première tournée avec Devos. Et son trouble devant les certitudes contradictoires de l’Europe de Maastricht. Une alternative bien étriquée pour un citoyen de la Terre à la mémoire longue.

  2. Suite à ton analyse/critique, Floréal, j’ai foncé acheter ce bouquin et quelques CD du même auteur, et grand bien m’en a pris. Je le lis avec un plaisir fou, mais aussi avec beaucoup de moments d’émotion très forts, je découvre ce chanteur dont j’ignorais à peu près tout, sacrée lacune, surtout la vie de galère qui a duré des années. Je découvre aussi un gars très droit, aux belles idées qu’il semble avoir appliquées tout au long de cette vie de compagnon puis publique, et qu’il doit continuer à appliquer aujourd’hui, je suppose. Le seul petit regret c’est le silence qu’il maintient sur ses dix-huit premières années au sein de sa famille. Il doit y avoir des moments passionnants avec son p’tit père et sa p’tite mère. Merci de cette découverte.
    Encore un mot, tu écris, Floréal, « titulaire du seul certificat d’études », tu ne dois pas être sans savoir qu’à l’époque ce diplôme avait une certaine valeur. Avec ce CEP en poche les gosses avaient une orthographe bien supérieure à celle de beaucoup de surdiplômés aujourd’hui.
    Merci LTG.

    • Au cours d’une émission assez récente, sur Radio-Libertaire, où Leny Escudero était invité pour évoquer ce livre, il a fait savoir qu’il en écrivait actuellement un autre évoquant son enfance et son adolescence. Il faut donc patienter un peu pour que ton « petit regret » se dissipe…

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