Avant l’invention de l’amplification et du microphone un chanteur se devait d’avoir du « coffre » pour « passer la rampe ». Il fallait « avoir de la voix ».
Longtemps après que l’usage du micro a été répandu, cette expression, « avoir de la voix », est restée. Jusque dans les années cinquante et soixante (voire au-delà), on continua de considérer la puissance de la voix comme un critère de qualité.
On moquait Charles Aznavour à ses débuts, il fut qualifié (dit-on…) ironiquement de « mime » parce que sa voix n’était pas assez puissante (il s’est bien vengé par la suite !). Avant lui, Jean Sablon (qui chantait l’opérette) décida d’utiliser un micro pour chanter des chansons de variétés dans le style vocal des crooners* américains. L’utilisation d’un micro et sa manière de chanter en douceur le firent taxer de « chanteur sans voix » ! Ce qui aujourd’hui, à l’écoute de ses enregistrements, peut nous paraître bien étonnant !
Les progrès de la technique d’amplification ont permis à des chanteurs de cabaret de devenir des chanteurs de music-hall, comme Brassens, par exemple, qui s’adressait à des auditoires conséquents sans être doté d’un organe vocal très puissant (il ne se considérait d’ailleurs lui-même pas comme un chanteur).
Aznavour, Brassens, et d’autres, peu à peu le public s’est habitué à des voix atypiques et l’idée de la « belle voix » et du « coffre » a perdu du terrain. Les voix atypiques et/ou peu puissantes ont eu leur place sur le marché de la chanson.
Il reste aujourd’hui des voix remarquables pour leur puissance (Céline Dion, Florent Pagny) mais aussi des voix d’artistes tellement faibles et étouffées (Hardy, Daho, Biolay, Delerm, Charlotte Gainsbourg) qu’on peut se demander comment ils ont pu avoir la simple idée de faire ce métier !
Sur le marché du divertissement musical, les gens qui « ont de la voix » se font rares et ceux qui n’en ont pas gagnent du terrain ! Notons cependant que dans les jeux concours télévisés on cherche et applaudit des voix souvent puissantes, alors que l’industrie du divertissement nous abreuve de voix faiblardes. C’est un drôle de paradoxe**.
On comprend très bien que la puissance de la voix et la technique vocale ne soient plus les critères premiers en matière de chanson, il faut vivre avec son temps et si l’absence de voix devait être rédhibitoire, on en arriverait vite, en exagérant un peu, à une situation où les seules voix lyriques seraient légitimes.
Cependant, si la puissance n’est plus indispensable grâce à la technique d’amplification, l’amplification ne peut pas insuffler à une voix l’énergie et le dynamisme du chant. On peut être gêné aujourd’hui par l’absence de cette énergie et la façon dont de nouveaux artistes marmonnent derrière le micro et utilisent leur voix avec une extrême prudence pour ne pas dépasser l’ambitus où elle sonne à peu près agréablement. La technique ne peut remplacer non plus le placement rythmique. Elle ne peut qu’augmenter artificiellement le volume de la voix.
Faites l’expérience d’écouter un chanteur ou une chanteuse actuels à la mode et écoutez ensuite Georges Brassens (même si vous n’aimez pas ça !). J’ai fait cette expérience fortuitement et j’ai été frappé par la présence vocale et le placement rythmique du vieux Georges qui ne se prenait pourtant pas pour un chanteur, mais qui, à sa façon, n’avait pas peur de donner de la voix. Bien sûr, les temps ont changé, mais si les jeunes pousses ne donnent pas de la voix, on peut se demander si, au-delà d’un choix esthétique possible, il ne faut pas voir là le simple reflet de ce qu’elles ont à donner dans leurs chansons, c’est-à-dire rien du tout ou si peu. On peut même avoir l’impression qu’elles marmonnent et minaudent (en prenant un air pénétré pour jouer un simple accord sur leur guitare ou leur petit clavier) avec pour seul but de glaner leur part de notoriété et de fortune. Pour la générosité, on repassera.
Pierre Delorme
* Crooner vient du verbe anglais to croon, en français « susurrer », puis « fredonner, chantonner ».
** http://www.crapaudsetrossignols.fr/2014/04/04/un-paradoxe/
Salut, un des problèmes avec pas mal de chanteurs « à voix » c’est qu’ils s’écoutent chanter, en faisant des effets de voix au détriment du sens du texte … Raison pour laquelle j’aime bien les comédiens qui chantent, ils portent le texte en avant …