On parle généralement d’alchimie pour expliquer l’inexplicable en matière de chanson. Alchimie des notes, des mots, d’une voix, le mot est pratique pour désigner ce qui échappe à la raison, à l’intellect, et ne concerne que la sensibilité, la capacité d’être ému. On parle parfois d’ailleurs aussi bien de « magie ».
C’est bien cet ensemble d’éléments sonores, les notes et le timbre des instruments, de la voix, la sonorité des mots, qui fondus en un seul son deviennent la chanson. On ne saurait isoler de l’ensemble un élément particulier qui ferait ou expliquerait à lui seul son charme. Cependant, il arrive que l’on tombe sous le charme d’une chanson chantée dans une langue dont on ne comprend pas un mot. Cela arrive à tout le monde, même aux amateurs de chanson « à texte » pour qui la qualité et le sens des paroles jouent pourtant habituellement un rôle primordial. Comme quoi la beauté du texte à laquelle se sont attachés tant de chanteurs poètes tout en négligeant la musique de leurs chansons est loin d’être suffisante. Ils ont fait fausse route. Ils auraient dû écrire et composer leurs chansons comme si elles étaient destinées à un public qui ne comprend pas la langue dans laquelle elles sont écrites, la beauté du texte (pour ceux qui le comprennent) n’étant qu’un « plus ». Elle ne saurait pallier les manques musicaux, l’absence d’émotion dans la sonorité.
Se reposer sur la seule qualité du texte et faire de la mélodie le parent pauvre de la chanson, c’est s’adresser à l’intellect, alors qu’il faut d’abord toucher la sensibilité, émouvoir. Comme le disait l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, au début n’était pas le verbe, au début était l’émotion*. Cette émotion qui naît parfois à l’écoute d’une chanson qui est avant tout un « son ». Il semblerait que si le timbre de la voix et la musique peuvent suffire à exercer ce charme, la qualité des paroles, aussi poétiques soient-elles, ne puisse pas y parvenir seule. L’expérience que l’on peut faire d’être touché par une chanson dont on ne comprend pas la langue en est peut-être la preuve.
Pierre Delorme
* « Dans les Écritures, il est dit : “Au commencement était le Verbe.” Non ! Au commencement était l’émotion. Le Verbe est venu ensuite pour remplacer l’émotion. » Louis-Ferdinand Céline vous parle, 1957.