Dessin de Pierick

Les Crapauds et les Rossignols aiment bien aller au cinéma pour se reposer un peu de la chanson ! Las, il se trouve bien des cinéastes pour en glisser une dans leurs films ! Notons que cela dure depuis longtemps…
Dès que le cinéma a cessé d’être muet il s’est mis à chanter ! Le premier film sonore s’intitule d’ailleurs Le Chanteur de jazz (1927, Alan Crosland). Depuis, le compagnonnage entre le cinéma et la chanson n’a jamais vraiment cessé, qu’il s’agisse de comédies musicales filmées, de chansons insérées comme une pause pendant un récit, ou même de chansons destinées à simplement accompagner le générique du film. Il arrive que le film retrace tout simplement la vie d’artistes de la chanson, généralement très célèbres, comme La Môme, d’Olivier Dahan, pour la vie d’Édith Piaf, ou encore I’m not There de Todd Haynes pour celle de Bob Dylan, Bound for Glory (En route pour la gloire) de Al Ashby pour celle de Woody Guthrie, et tant d’autres évoquant les grandes figures populaires de la chanson comme Claude François (Cloclo de Florent-Emilio Siri) ou Johnny Cash (Walk the Line de James Mangold).
Certaines chansons sont restées célèbres alors que le film est oublié depuis longtemps (Je chante, Charles Trenet). Parfois, même si le film n’est pas oublié, la chanson demeure plus célèbre que lui et fait l’objet de nombreuses reprises, Moon River de Henry Mancini et Johnny Mercer, que chante Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany’s de Blake Edwards, ou encore Le Tourbillon de Bassiak, chanté par Jeanne Moreau dans Jules et Jim de François Truffaut.
Il est aussi un cas plus rare où la chanson devient un élément à part entière de l’intrigue, comme Que sera sera (Jay Linvingston et Ray Evans) dans L’homme qui en savait trop d’Alfred Hitchcock (1956). La chanson fut d’ailleurs écrite à la demande du metteur en scène et le film la rendra très populaire.
Avant la présence de la radio, de la télévision et des électrophones dans tous les foyers, le cinéma a été un véhicule privilégié pour la chanson et sa diffusion. Mais si le lien n’a jamais été totalement rompu entre chanson et cinéma, il s’est quand même distendu.
Longtemps, la chanson a été écoutée en récital et surtout à la maison sur la « chaîne stéréo ». La chanson se limitait à un « son », pour les images l’imagination faisait le reste.
Aujourd’hui, la chanson, qui était d’une certaine manière « aveugle », se réapproprie grâce aux outils vidéo des images qui sans être des films de cinéma empruntent cependant beaucoup à leur esthétique. Ces images en deviennent une partie intégrante au même titre que la voix, les paroles et la musique. Le cinéma a chanté souvent, aujourd’hui les chansons font leur « cinéma ».
Quand les Crapauds et les Rossignols vont au cinéma, ils aiment que la chanson soit un instant suspendu dans le récit, un instant où les images cessent de raconter une « histoire » pour simplement accompagner la chanson. Ces moments de grâce sont rares. Il y en a deux qui nous viennent à l’esprit.
Le premier est l’irruption de la magnifique chanson de Félix Leclerc Ailleurs, dans le beau film de Bertrand Blier Le Bruit des glaçons. Bertrand Blier, sans doute très sensible à cette chanson, l’accompagne dans son intégralité (ce qui est rare) d’images très belles qui lui font un écrin. Ailleurs devient une sorte d’ouverture dans le film, comme les chansons deviennent parfois une ouverture dans la vraie vie.
Le second exemple est plus ancien, mais, à notre avis, ne perd jamais de sa puissance évocatrice quand on le revoit. Il s’agit d’une scène de French Cancan, le film de Jean Renoir (1955), dans laquelle on entend La Complainte de la butte (Renoir-Van Parys), devenue une merveilleuse chanson du répertoire, chantée par Cora Vaucaire (qu’on ne voit pas à l’écran, elle est la voix de l’actrice italienne Anna Amendola). C’est une sorte de clip avant l’heure. On retrouvera Cora Vaucaire et la magnifique Trois petites notes de musique (Henri Colpi et Georges Delerue) dans une scène du film Une aussi longue absence d’Henri Colpi (1961).
Il y a beaucoup de films où la chanson a été très bien filmée, notamment Nashville ou encore The Last Show de Robert Altman. Altman, dont le très beau western crépusculaire, John McCabe (1971) sera illustré par les chansons de Leonard Cohen, The Stranger Song, Winter Lady, The Sisters of Mercy.
Mais nous terminerons en évoquant deux magnifiques films de Terence Davis, Distant Voices, Still Lives (1988) et The Long Day Closes (1991), où la chanson et le cinéma, deux arts populaires, ne font plus qu’un et deviennent mémoire.

(« Hexagone » n°20, Eté 2021)

3 commentaires »

  1. bea tristan dit :

    John McCabe, saisissant dans cette association avec Cohen, une splendeur

  2. Nicolas T dit :

    Et puisqu’on parle de Colpi, « Heureux qui comme Ulysse », c’était pas aussi pour un film ?

    • administrateur dit :

      « Heureux qui comme Ulysse » (a fait un beau voyage) est une chanson chantée par Georges Brassens, musique de Georges Delerue, paroles de Henri Colpi, en décembre 1969 et sortie en 1970. Elle est une des chansons qui sert de bande originale du film éponyme réalisé par Henri Colpi. (Wiki)

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