J’ai lu Brassens par Brassens de Loïc Rochard, au Cherche-Midi éditeur, dans la collection « Brassens d’abord », dirigée par Jean-Paul Liégeois. Il s’agit d’une réédition de l’ouvrage paru en 2005.
Loïc Rochard a habilement compilé des déclarations de Georges Brassens, glanées au fil d’interviews qu’il avait accordées aux gens de la radio, de la télévision et de la presse écrite. Dans cet ouvrage, seul Brassens a la parole (hormis un petit chapeau de l’auteur en guise d’introduction à chaque chapitre). Pas de commentaires, d’analyse ou de transcription des questions qui ont donné lieu à ces déclarations. La parole, ou plutôt « des paroles» du maître à l’état brut sont cependant classées par l’auteur selon des thèmes qui suivent la chronologie de sa vie et sa carrière de chanteur. Chaque époque est illustrée par des photos.
On suit la progression de Georges Brassens de l’enfance à la mort, en passant par tous les repères biographiques, déjà bien connus de ses admirateurs. Chacun pourra y puiser ce qui l’intéresse le plus dans la personnalité de cet homme qui ressemble sans doute à bien d’autres (il se plaît à le répéter souvent), mais que son talent de faiseur de chansons a placé hors du commun.
Qu’il s’agisse de sa « morale » de libertaire, de son individualisme de « solitaire mais solidaire », de son rapport aux femmes, du succès (qui est « toujours un malentendu »), les contours de sa personnalité sont bien dessinés et on peut à travers ces citations se faire une idée assez précise, et sans doute juste (?), du personnage.
Les auteurs de chansons d’aujourd’hui auront tout intérêt à lire ses confidences sur sa manière de travailler, sur son rapport aux paroles et à la musique. Il entrouvre un peu les portes de son atelier sans pour autant nous livrer ses « secrets de fabrication », qui finalement se résument peut-être à un seul mot : travail !
Il peut être intéressant également pour ceux qui ont tendance à faire de Georges Brassens un penseur, un moraliste (et à le faire « penser » plus qu’il ne chante, bien au-delà de ses chansons), de s’attarder sur quelques citations intéressantes, comme celles-ci : « Quand on écrit des chansons, quand on écrit quoi que ce soit, on va parfois beaucoup plus loin que sa pensée. Pour faire un bon mot on va parfois beaucoup plus loin.
S’il arrive que je dise quelque chose qui semble important dans mes chansons, qui semble traiter de tel ou tel problème, c’est presque en prime, presque malgré moi. »
Aujourd’hui, il ne se trouve plus personne (ou si peu de monde) pour affirmer que la musique de Brassens est indigente. Elle reste cependant assez peu considérée et mal comprise, ou du moins n’occupe-t-elle pas la place qui devrait être la sienne dans l’esprit de ses admirateurs. Le travail extraordinaire de mise en musique de ses paroles demeure souvent caché dans un angle mort.
« La chanson c’est surtout en général une affaire de musique. Ce n’est pas une affaire de paroles, quoi qu’on en dise. La chanson, ce peut être n’importe quoi sur une bonne musique, et c’est bien. La musique, quand elle est belle, donne aux paroles une dimension qu’elles n’ont pas. La musique apporte un charme. La musique donne du charme à n’importe quoi. Il faut le dire : quand on s’intéresse à la chanson, on s’aperçoit que c’est la musique qui détermine le succès d’une chanson, et non pas les paroles. »
« Dans la chanson, ce qui passe avant tout c’est la musique, qu’on le veuille ou non. La musique a une importance capitale. Une chanson plaît surtout en fonction de sa musique, les paroles viennent en prime. Si j’ai besoin évidemment d’une grande qualité de paroles, je n’ai pas tellement besoin de la chanson. Les bibliothèques, même municipales, sont pleines de bonnes paroles. Les poètes ont pas mal écrit ! »
Même si Brassens n’est pas oublié, son public d’admirateurs fervents qui entretiennent sa mémoire va s’amenuisant, cependant ses chansons sont reprises régulièrement par de jeunes artistes de talent, ce qui est encourageant ! On peut bien sûr s’interroger sur la longévité de l’œuvre de Brassens qui disait lui-même que « la postérité fera ce qu’elle voudra »… Pour le moment elle semble bien vouloir encore un peu de lui, ce recueil de citations en est une nouvelle preuve.
Entre les lignes, on comprend que Brassens était parfaitement conscient de la qualité de son œuvre, mais de sa fragilité aussi, puisqu’elle n’est faite « que » de chansons. Il dira : « Mes chansons c’est « Une poule sur un mur / Qui picore du pain dur », amélioré. » Ce qui ne manquera pas d’en étonner plus d’un…
Pierre Delorme
En même temps que le livre que Pierre évoque ci-dessus, Jean-Paul Liégeois réédite, chez le même éditeur et dans la même collection, les soixante-huit premières chansons de Georges Brassens écrites, ou plus exactement déposées à la Sacem, entre 1942 et 1949.
Nous avions chroniqué cet ouvrage au moment de sa première édition, en 2016. Voici le lien :
http://www.crapaudsetrossignols.fr/2016/04/15/les-inedits-de-brassens/
Floréal Melgar
« La chanson c’est surtout, en général, une affaire de musique. Ce n’est pas une affaire de paroles, quoi qu’on en dise ». Cette citation de Brassens peut étonner, de prime abord, ceux qui connaissent et apprécient son œuvre. Il est vrai que Brassens a toujours adoré chanter des chansons populaires sans grande prétention littéraire comme celles de Trenet, Sablon, Mireille ou Tino Rossi. Pourtant, quand un comédien comme Philippe Léotard (« Saturne »), Jean-Pierre Marielle (« Les amours d’antan ») ou François Morel (« La marche nuptiale ») disent une chanson de Brassens, sans musique, on se rend bien compte que la qualité des paroles égale largement celles de Molière, La Fontaine, Prévert ou Eluard. Quoi qu’on en dise, les musiques de Brassens ne sont pas ce qui donne du charme à ses paroles, ni à celles de Paul Fort, Villon ou Aragon qu’il a, si bien, mis en musique. J’en conclus que ce que Brassens dit sur la chanson, en général, ne s’applique pas à ses chansons, en particulier, ou bien s’applique différemment. Ainsi, quand Brassens dit : « La musique, quand elle est belle, donne aux paroles une dimension qu’elles n’ont pas », tout est dans la nuance de ce qu’on entend par « dimension ». La musique peut rehausser des paroles mièvres pour leur donner un semblant de hauteur. Mais la musique peut aussi habiller une parole poétique pour la rendre plus accessible, plus terrestre, plus familière, plus légère, plus agréable, plus proche de nous. En fin de compte, c’est le choix de chacun : on peut vouloir chanter des banalités sur de jolies mélodies pour oublier la vacuité de « l’air du temps », on peut aussi vouloir chanter l’oralité musicale d’une parole poétique pour retrouver en nous l’authenticité d’une émotion qui nous rend plus libre et plus heureux. « C’est la grande pitié de la langue française » que de n’avoir qu’un mot pour parler des « chansons », en général, et des « chansons » de Brassens, en particulier.
[…] Deux livres sur Brassens […]