Crapauds et Rossignols aime bien les citations de Bob Dylan. Nous avions d’ailleurs inauguré le site avec une de ses phrases, qui prétendait que « le monde n’a plus besoin de chansons ».
Aujourd’hui, nous tombons sur un extrait d’une interview qu’il a donnée en 2016 au New York Times. Il y parle de la solitude et de la servitude de celui qui crée des chansons.
« Tout ce qui vaut la peine d’être fait prend du temps. Il faut écrire une centaine de mauvaises chansons avant d’en écrire une bonne. Et il vous faut sacrifier beaucoup de choses dont il se peut que vous n’ayez pas été préparé à le faire. Que ça vous plaise ou non, vous êtes seul dans cette affaire et vous devez suivre votre propre étoile. »*
Si on comprend bien, l’écriture de chansons est un genre de sacerdoce qui demande bien des sacrifices. On imagine sans peine que Bob Dylan, qui a écrit des centaines de chansons, a passé du temps à cette activité, beaucoup de temps. On ne sait pas trop quelles choses il dû sacrifier, mais chacun imaginera ce qu’il voudra.
C’est vrai, il faut du temps pour écrire des chansons, bien plus que ne le pensent ceux qui n’en écrivent pas ou que le laissent bêtement entendre les fanfarons qui ont fait un « tube » en cinq minutes en tapotant leur volant en attendant que le feu passe au vert.
Même s’il est vrai que certaines « daubes » furent hâtivement conçues, écrire beaucoup de chansons et publier beaucoup d’albums tout au long d’une carrière bien remplie demande forcément du temps et même qu’on y consacre sa vie. Guy Béart disait qu’il était un auteur de chansons « permanent », une manière de dire qu’il ne faisait que ça ou presque. Leonard Cohen, dans une chanson, dit « simplement payer [son] loyer tous les jours dans la tour de la chanson ».**
On imagine sans problème Picasso ou Renoir dessiner et peindre tous les jours de leur vie, Ravel consacrer son existence à la composition, Proust ou Céline à l’écriture, mais en ce qui concerne la création de chansons, on imagine souvent cette activité comme celle de dilettantes qui écrivent les paroles sur une nappe de restaurant ou au dos d’une liste de commissions et qui les mettent en musique en grattant ou tapotant trois accords sur une guitare ou un clavier sommaires. Bref, une activité de glandeur sympathique visité de temps à autre par « l’inspiration ».
Les auteurs de chansons ne peuvent donc que se réjouir des propos de Bob Dylan. Cependant une phrase devrait retenir notre attention : «Il faut écrire une centaine de mauvaises chansons avant d’en écrire une bonne. » Hélas, tout le monde n’est pas Bob Dylan, écrire cent chansons, même mauvaises, c’est déjà un sacré turbin, mais réussir ensuite à en écrire une « bonne », c’est carrément une autre paire de manches.
Pierre Delorme
*« Everything worth doing takes time. You have to write a hundred bad songs before you write a good one. And you have to sacrifice a lot of things that you might not be prepared to. Like it or not, you are in this alone and have to follow your own star. » Bob Dylan, New York Times, 2016
** «I’m just paying my rent every day in the Tower of Song », Tower of Song, by Leonard Cohen