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Paul Verlaine

Paul Verlaine

Le dernier billet de Floréal*, consacré au piège de la modestie dans lequel un certain chanteur évita soigneusement de tomber, fort de n’avoir pas chu dans celui de la poésie mise en musique comme un vulgaire Léo Ferré, a suscité des commentaires divers et variés.
Léo Ferré, pourtant généralement salué comme le génial compositeur de poésies de Verlaine, Rimbaud, ou encore Aragon, n’est pas apprécié de tous. Pourquoi pas ? Certains lui opposent la manière d’un Brassens, plus simple en apparence et moins grandiloquente. A chacun ses goûts.
Brassens et Ferré n’avaient pas les mêmes moyens vocaux, ce qui peut expliquer la nature différente des mélodies qu’ils composaient pour les poèmes qu’ils choisissaient de chanter. Il faut ajouter que Léo Ferré composait ses musiques au piano et que Brassens les accompagnait à la guitare (même s’il travaillait, dit-on, ses mélodies sur un clavier), ce qui peut expliquer aussi la différence de contexte harmonique de leurs chansons. Là où Brassens se limite aux accords de trois sons, Ferré utilise des harmonies plus larges (plus aisées à exécuter au piano qu’à la guitare).
On peut préférer l’un à l’autre, ou même les apprécier tous les deux, rien ne s’y oppose.
Selon mes critères, ces deux-là avaient une forme de génie de la mise en musique, c’est-à-dire celui de composer la mélodie adéquate pour tel ou tel poème (retaillé parfois au format chanson). Quand leurs œuvres sont réussies, la mélodie semble devenue indissociable du poème, dont on peine même à imaginer qu’il ait pu exister sans elle !
Si n’importe quel musicien de chanson peut mettre en musique un poème dont la forme régulière permet d’y adapter les régularités d’une mélodie, un véritable travail sur la prosodie et le rythme est plus rare. Le travail de Léo Ferré sur les alexandrins de Green (Paul Verlaine) est à ce titre remarquable.
Le poème est composé de trois strophes (quatrains) de quatre alexandrins chacune. Ferré, par sa musique, ne donne pas le rythme de ces alexandrins de façon régulière. La première phrase musicale (pour le premier vers) est divisée en deux parties par une césure assez longue qui correspond à celle du vers (césure à l’hémistiche). On entend deux fois six pieds. Le deuxième vers est donné sur une autre phrase avec une césure à peine perceptible, on entend douze pieds.
Dans le troisième vers, le premier hémistiche est donné sur le même rythme que le vers précédent, mais après la césure les six derniers pieds du vers sont chantés sur un autre rythme, avec des valeurs plus longues qui donnent l’impression d’insister sur chaque pied et de ralentir le débit du poème. Enfin, le dernier vers est découpé encore différemment par la phrase musicale, avec une note tenue (un point d’orgue) sur le quatrième pied du vers, puis deux pieds (chantés diminuendo), avant de reprendre le rythme, le débit, de la fin du vers précédent, sur les six derniers pieds de la strophe. Six derniers pieds que Ferré prend la liberté de répéter, donnant par-là un caractère plus « chanson » à ce poème mis en musique. On entend donc quatre pieds, puis deux, et ensuite six pieds, qui sont bissés.
Léo Ferré reprend le même découpage rythmique dans les deux quatrains suivants. Notons que la résolution de la mélodie (qui donne le sentiment de fin) n’interviendra qu’au dernier vers (bissé) du dernier quatrain. Le découpage du poème tel que chanté pourrait être approximativement transcrit ainsi :

Voici des fruits, des fleurs……………………… des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur… qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas…….. a- vec vos deux mains blan-ches
Et qu’à vos yeux……. si beaux…………… l’humble présent soit doux.

L’hum-ble pré-sent soit doux

Si vous avez lu l’article jusqu’ici, je vous en remercie, il n’est pas aisé de transcrire ce genre de choses en évitant le vocabulaire musical.
Paul Verlaine a souvent été mis en musique, ce qui peut paraître normal pour celui qui réclamait «De la musique avant toute chose » dans son Art poétique.
Green avait été précédemment mis en musique par de grands compositeurs de musique « savante » : Claude Debussy, Reynaldo Hahn et Gabriel Fauré.
On trouvera une analyse de ces œuvres chantées en suivant le lien ci-dessous. La version de Léo Ferré y est étudiée aussi, avec, pour les musiciens, des détails sur les harmonies utilisées.
http://www.cndp.fr/entrepot/baccalaureat-musique/leo-ferre/green/analyse-musicale.html

Pierre Delorme

*  http://www.crapaudsetrossignols.fr/2018/09/23/le-piege-de-la-modestie/

Green (Paul Verlaine) mis en musique et chanté par Léo Ferré

4 commentaires »

  1. Roucaute dit :

    Le Brassens des années 50 composait avec trois accords mais celui des années 70 était quand même passé à autre chose, non ?

    • administrateur dit :

      Je n’évoquais pas le nombre d’accords, mais leur nature. Brassens compose principalement avec des accords de trois sons (quatre avec les septièmes de dominante, parfois un mineur 7/5b, chiffré mineur 6). Les harmonies utilisées par Ferré ne sont pas forcément nombreuses, mais plus larges (5,6 sons voire plus), ce qui donne un autre style à la musique.

      • Roucaute dit :

        Oui, tu as raison de me reprendre. Je voulais dire que le Brassens des années 1970 est plus influencé par le jazz, avec des accords à quatre sons pas dégueulasses. On est encore loin des prétentions (sans intention péjorative) symphoniques de Ferré mais l’évolution par rapport aux débuts est notable.

  2. Juste une précision. C’est parfois Madeleine Ferré qui faisait le travail d’adaptation pour les mises en musique de poètes. Ainsi, c’est elle qui s’est occupée de Pauvre Rutebeuf.
    Madeleine a eu une influence énorme dans la carrière artistique de son mari. Elle le conseillait également pour ses tenues de scène, sa façon de bouger, etc.
    Ce serait bien qu’un éditeur réédite son livre Mémoires d’un magnétophone.

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