« Les portes du pénitencier se sont refermées, oui, sur nos gueules tant on a pu se sentir prisonnier de cet étalage de regrets et d’affliction censée n’épargner personne. Pas la première manifestation de ce totalitarisme du chagrin et de l’émotion – et sûrement pas la dernière ! », écrit Cyril Sarot après le tsunami hallydaysque qui aura tout balayé durant une interminable semaine de la vie d’un pays tout entier livré au médiatisme et à l’industrie du showbiz réunis.
Les réseaux sociaux s’y étant mêlés, tout a été dit jusqu’à l’overdose de cette orgie dont l’indécence aura été jusqu’à convaincre certains adeptes du défunt qu’ils étaient en train de faire leurs adieux à un nouveau Victor Hugo.
On pourrait, certes, admettre que tous ceux que l’œuvre d’un artiste a toujours laissés indifférents s’effacent à l’heure de sa mort et laissent ses admirateurs exprimer leur peine. Mais, en l’occurrence, la brutale occupation du territoire par le rouleau-compresseur médiatique et showbiznesque, réduisant à néant tout autre sujet que la mort d’une idole, valait bien, tout de même, quelque ironie, comme un réflexe d’autodéfense contre cette injonction à l’affliction qu’évoque Cyril Sarot.
Ce refus de participer à la peine collective imposée et la nécessité même d’en moquer les travers les plus grotesques n’auront guère été, hélas, du goût des fans les plus ardents. Pour les uns, votre insensibilité à l’œuvre chantée d’Hallyday vous vaudra illico le qualificatif d’« intello », qui se veut ici infamant. On aura vu ainsi d’habituels pourfendeurs de compétitions sportives ou de consultations électorales « moutonnières » mettre en avant l’argument du « populaire » pour vous transformer en élitiste hautain si vous refusez absolument de voir en vous-même quelque chose de Tennessee. L’accusation est d’autant plus stupide que bon nombre d’authentiques intellectuels, dont certains lui avaient même écrit des chansons, se sont pressés aux funérailles. Pour d’autres, discréditer ceux qui toujours ne se montrèrent nullement prompts à « allumer le feu » avec Johnny leur a semblé plus nécessaire que l’exposé des raisons qui motivaient leur idolâtrie. Entre autres amabilités sous des plumes habituellement mieux inspirées, les termes « pète-sec », « pisse-froid », « peine à jouir » et jusqu’au « mépris de classe » (sic) sont ainsi venus étiqueter collectivement tous ceux qui demeurent imperméables à la vie trépidante comme à la mort de l’artiste vénéré.
Ajoutées au scandaleux cirque médiatique, ces réactions insensées où dominent une intolérance hargneuse et, il faut bien le dire, une certaine bêtise – qu’on espère momentanée –, mettent en évidence cette obligation au chagrin et ce « totalitarisme de l’émotion » auxquels nul n’est évidemment tenu de se soumettre et contre lesquels il semble urgent et nécessaire de revendiquer un droit à l’indifférence.
Floréal Melgar
Ce nouvel avis d’imposition allait même dans certaines villes jusqu’à diffuser l’idole dans les haut-parleurs ! A vous faire battre des records de course pour fuir ! Depuis, les affaires commerciales doivent croître et, mine de rien, les Français vont refaire marcher l’économie et faire plaisir à leur gouvernement préféré.
Le comble sera que c’est grâce une idole qui ne payait pas ses impôts et qui en dernier pied de nez va aller se faire enterrer ou incinérer dans les paradis fiscaux ! Comme c’est populaire !
Enfin, je n’ ai qu’une peur c’est de recevoir en cadeau un disque de Johnny Hallyday ! Ce ne sera pas mes ami(e)s car eux comme moi préfèrent tout ce paysage de la chanson qui nous émeut et qui nous enrichit l’esprit.
Symptôme d’une société déglinguée, avec le culte de la personne Hallyday, pire qu’en Corée du Nord où les fidèles sont contraints, le gros cul de la laïcité de l’Etat assis à l’intérieur de la Madeleine, le sabre du Macron et le goupillon célébrés grâce à saint Johnny, qui a fait disparaître le « j’endors mes sons » du canon aux Invalides.
Salut
Râlez pas les gars, on a peut-être échappé à une possible béatification (quoique..) et à un nouveau jour férié pour la Saint-Johnny… En attendant les charters de pèlerins pour Saint-Barth… Et la déferlante de compils hommages qui vont faire marcher le commerce, c’est bien l’essentiel, non ?
Post-scriptum : n’ayant presque rien dit, sauf une petite erreur que Roucaute a vite repérée, n’en déduisez pas que le chagrin m’a coupé le sifflet, et je ne dirai rien de plus, voilà, c’est dit !
Merci Floréal pour cet article exprimant parfaitement ce que beaucoup d’entre nous ont pensé durant cette semaine dégoulinante ! Il en va de ce droit à l’indifférence comme de la laïcité. Ce sont toujours toutes les démonstrations cultuelles qui occupent le haut du pavé, les gens qui doutent étant plus discrets et ignorés des grandes messes « populaires ». C’est peut-être ça le droit à l’intelligence !
Samedi dernier, gigantesque bordel dans les rues de ma bonne ville de province. Vingt minutes pour faire deux cents mètres en voiture.
C’est dans le magasin où je devais retirer une commande que j’ai appris la raison de l’embolie urbaine. Un défilé sans fin de « bikers » en mémoire du héros national. Quand j’ai appris à Partageuse la raison de mon si long retard…
Bravo pour ce beau papier monsieur Floréal.
Il est également intéressant qu’à notre époque où la laïcité est dans toutes les bouches ; où on s’insurge contre l’installation de la crèche de Noël, où on souhaite débaptiser « les marchés de Noël » qu’une messe (ou bénédiction) de funérailles soit entièrement retransmise… et que notre président n’ait pas voulu faire le signe de la croix à l’aide du goupillon et préféré poser sa main sur Johnny.
Merci pour le compliment, madame Catherine. Mais je ne vois pas bien le rapport entre mon papier et les événements que tu évoques. D’autant que, oui, je fais partie de ceux qui s’insurgent contre la présence de crèches de Noël dans les mairies, que les messes soient retransmises sur les chaînes du service public, etc.
« Momentanée » ? La bêtise ?… Je vous trouve bien optimiste tout soudain, cher Floréal.