Les conversations battent leur plein sur Facebook, sur le « mur » du chanteur Sarcloret qui poste ses « règles » et « contre-ordres » concernant l’écriture de chansons. C’est rigolo et provocateur, bien dans sa nature. comme il est dans la nature du scorpion de piquer la grenouille sur le dos de laquelle il traverse une rivière.* Revenons à nos moutons. Y a-t-il vraiment des règles pour écrire des chansons ? Cet art populaire s’accommode mal des règles et théories diverses, il préfère souvent la spontanéité, « l’inspiration », et il n’est que rarement associé à l’idée de labeur.
Les conseils et trucs divers, il y en a à foison dans les ouvrages, généralement confidentiels, de ceux qui ont fait pour ainsi dire profession d’animer des stages d’écriture de chansons, mais ça se limite souvent à des astuces sympathiques et rigolotes pour déclencher l’inspiration chez ceux qui n’écrivent ou n’osent pas écrire des chansons.
Cependant, ceux qui osent et qui n’ont pas besoin qu’on leur pousse la plume ne manquent pas. Mais leur faut-il des règles pour écrire et composer leurs chansons ? Une vingtaine d’années d’enseignement dans un conservatoire auprès d’auteurs-compositeurs m’a permis de réfléchir à la question, à défaut d’y apporter une réponse. Je suis arrivé à la conclusion que les seules règles possibles dans ce domaine sont celles de la versification et celles de la théorie musicale, du moins concernant les notions de tonalité et d’harmonie. Ce sont là les seuls outils que j’ai fournis à mes ouailles. Pour le reste, c’était du bavardage dont j’ignore s’il leur a été utile, mais j’en doute.
J’ajouterai pour terminer que j’ai été frappé également par leur absence à peu près complète de connaissance des chansons du patrimoine. Pourtant, étudier de près ce qui s’est fait par le passé est instructif et formateur. Les grands peintres, même les plus aventureux et inventifs, n’ont-ils pas commencé en recopiant, au Louvre par exemple, les œuvres des maîtres ?
On peut décortiquer avec intérêt les paroles de Brassens, de Brel, de Vian et Gainsbourg, etc., et leur mélodies aussi, ce qu’on aura pu y observer sera toujours utile par la suite, d’une manière ou d’une autre.
S’il devait y avoir une règle, peut-être dirait-elle que pour « créer », faire du neuf, la connaissance de la tradition est indispensable. La seule spontanéité vous condamne à piétiner sur des sentiers mille fois battus.
Et pour terminer, ces deux vers d’un « maître ancien » en la matière, Georges Brassens : « Sans technique un don n’est rien / Qu’un’ sal’ manie » (Le mauvais sujet repenti).
Pierre Delorme
* Un scorpion demande à une grenouille : « Je voudrais traverser la rivière sur ton dos.
– Non, dit la grenouille, tu vas me piquer !
– Réfléchis, dit le scorpion, si je te pique, tu meurs et je me noie !
– C’est vrai, allons-y !
Au milieu de la rivière, la scorpion pique la grenouille…
– Tu es fou, pourquoi m’as-tu piquée ? Tu vas te noyer !
– Je sais, je n’ai pas pu m’en empêcher, c’est dans ma nature, dit le scorpion. (Fable anonyme)
Toujours pas de commentaires ? Je suis étonné : on lit un billet ici et on le commente, abondamment, ailleurs sur la toile. O tempora ! O mores !
Quand je lis une question telle que « Y a-t-il vraiment des règles pour écrire des chansons ? » ma sale manie est de transposer la question à une autre discipline artistique.
En peinture Gombrich et d’autres nous enseignent que ces règles changent au fil des siècles. Lycéen, on m’avait enseigné que la perspective était une technique dont on avait perdu la maîtrise au Moyen Âge. Et, bien tard, j’apprends que l’absence de perspective était un choix délibéré, une règle parfaitement assumée…
Sarclorègles intégralement publiées cette semaine dans le blog du Doigt dans l’oeil.
Sarclo a ses raisons, et c’est intéressant de les lire, et aussi de voir comme chacun réagit.
Mon avis, très primaire sans doute, est que j’aime une chanson si elle me touche, paroles et musique, si elle me fait vibrer, si elle me raconte quelque chose. Après, opposer ou comparer un tel à un tel, dire ça c’est une bonne chanson, ça c’est de la merde, c’est le domaine des spécialistes, et j’aime autant Boris Vian que Boby Lapointe, et j’aime autant les chansons de Pierre Delorme que celles de Sarcloret, pour ne citer qu’eux.
Et à propos de règles et d’inspiration, j’aime beaucoup cette citation d’Alfred de Musset : « Le premier homme qui fit un instrument de musique et qui donna à cet art ses règles et ses lois avait écouté, longtemps auparavant, murmurer les roseaux et chanter les fauvettes. »
Merci pour cette belle citation. La fauvette me rappelle une autre phrase, de Thomas a Kempis cité par Louis-Ferdinand Céline : « N’essayez pas d’imiter le rossignol ou la fauvette, si vous ne pouvez pas ! Mais si c’est votre destin de chanter comme un crapaud, allez-y ! Et de toutes vos forces ! Et qu’on vous entende ! »
Pour ce qui est des règles de Sarcloret, je crois qu’elles sont perçues différemment selon qu’on est auditeur de chansons, auteur-compositeur, ou encore que l’on enseigne (ou essaie d’enseigner) dans un conservatoire. Sarcloret, comme le cœur, a ses raisons que la raison n’a pas !