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GénérationLa chanson est-elle vraiment générationnelle ?
Notre appartenance à la génération née dans les années d’après-guerre a sans doute influencé notre point de vue sur le rapport entre la chanson et la jeunesse, ce qui le rend difficilement partageable avec les générations qui nous ont suivis.
Les modifications du mode de vie par l’accès généralisé à la « consommation » et l’accès aux études pour un plus grand nombre ont façonné notre génération différemment de celle de nos aînés, de nos parents. Peut-être plus que jamais auparavant avons-nous eu le sentiment d’appartenir à une catégorie nouvelle et spécifique : la jeunesse. Ce sentiment d’appartenance et de rupture avec la génération précédente s’est exprimé en particulier et de manière symbolique à travers notre goût marqué pour une musique et, plus généralement, des chansons qui nous étaient destinées. Les Américains semblent, les premiers, avoir considéré que la « jeunesse » (les fameux teenagers) constituait un marché potentiel. On lui a vendu alors des styles vestimentaires et des chansons, sur des supports moins onéreux (45-tours) et des appareils portatifs pour les écouter, et surtout on a donné aux « jeunes » des « idoles » auxquelles s’identifier, « idoles » à peine plus âgées que leurs adorateurs.
Il serait cependant simpliste de croire que nos goûts se limitaient à ces idoles de notre âge, qu’on nous vendait à grand renfort de promotion (presse et radio). Pendant une vingtaine d’années (de 1955 à 1975), nous avons pu entendre à la radio et regarder à la télévision des chanteurs d’une grande diversité. Nous écoutions aussi bien des chanteurs de « rock » ou de « folk », des Anglo-Saxons et leurs imitations françaises, que des chanteurs « à texte » francophones, tels Brassens, Ferrat, Nougaro, Brel, Béart, etc., en passant par des chanteurs de « variétés » plus classiques tels Aznavour, Bécaud ou Dalida, par exemple.
Notre vision en trompe-l’œil est sans doute accentuée par le fait que les chansons des Anglo-Saxons (Elvis, Beatles, Rolling Stones, Bob Dylan, Leonard Cohen, etc.) étaient très novatrices, que le son et les voix, les rythmes étaient entièrement nouveaux, comme le phénomène de « groupe ». Il y a eu un avant et un après l’apparition de cette musique. De même, la chanson française dite « à texte » était à son apogée et les Brassens, Ferré, Brel et consorts proposaient des manières de faire inédites jusque-là. Après ces trois-là, la chanson ne sera plus la même.
Pour notre génération, en son jeune âge, l’identification à des chansons et à ceux qui les écrivaient et les chantaient aura été très forte, si forte qu’elle dure peut-être encore d’ailleurs dans nos têtes d’ex-baby-boomers !
De là notre idée, sans doute fausse, que la chanson est avant tout une affaire de jeunesse, période de la vie pendant laquelle on emmagasinerait dans notre mémoire un certain nombre de chansons qui empêcheraient ensuite que d’autres puissent y trouver une place. Comme si la sensibilité à ce mode d’expression ne durait que le temps de la jeunesse et que le stock constitué alors suffisait pour le reste de l’existence. Les gens de notre génération ont souvent cette impression.
Mais ce qui semble vrai pour notre classe d’âge ne l’est pas forcément pour les suivantes. Aujourd’hui, la ligne de rupture entre les générations paraît bien moins marquée. Mais a-t-elle disparu ? Elle reste visible dans la familiarité plus ou moins grande avec les « nouvelles technologies », par exemple, mais, en revanche, les chansons, et la musique en général, ne semblent plus jouer le rôle d’identification primordial qu’elles ont joué par le passé, elles ne sont plus un véritable marqueur générationnel.
Les moyens de diffusion ont été considérablement démultipliés grâce à internet, et tout semble être désormais disponible au même moment, l’ancien comme le nouveau, sans véritables repères chronologiques, sans hiérarchie. Comme s’il n’y avait plus ni avant ni après, mais une sorte de présent perpétuel de consommation, sans mémoire ni avenir.
Cependant, l’absence d’un sentiment d’appartenance et d’identification à une génération (par la musique ou autre) ne doit pas laisser croire à la disparition de la notion de génération elle-même*. Les transformations sociales ne se sont pas arrêtées et elles continuent de nous façonner inlassablement et de manière différente selon que l’on est né à telle ou telle époque, selon que l’on est jeune ou vieux à telle ou telle époque.
La « différence » de notre génération par rapport à celle qui la précédait s’est exprimée notamment à travers la consommation de chansons qui ont pris pour nous une valeur symbolique très forte. Nous y restons souvent attachés aujourd’hui comme à une image de notre jeunesse, ce qui est sans doute une manière de vouloir la prolonger**. C’est aussi ce qui explique en partie notre point de vue en trompe-l’œil sur les générations qui ont suivi la nôtre, du moins dans leur rapport aux chansons. Quant à savoir comment les « jeunes » et moins jeunes d’aujourd’hui percevront la chose une fois qu’ils auront atteint l’âge qui est le nôtre aujourd’hui… c’est mystère et boule de gomme (une expression de jadis). La donne aura changé, certainement.

Pierre Delorme

* Les chantres du libéralisme et de la mondialisation ont confondu de la même manière la disparition du sentiment d’appartenance à une classe sociale, la classe ouvrière par exemple, et la disparition des classes sociales elles-mêmes.

** J’ai entendu un journaliste (sexagénaire !) spécialisé dans le « rock » dire un jour que grâce à cette musique nous resterons à jamais « la génération de l’éternelle jeunesse » !

1 commentaire »

  1. Un partageux dit :

    « Les chansons, et la musique en général, ne semblent plus jouer le rôle d’identification primordial qu’elles ont joué par le passé, elles ne sont plus un véritable marqueur générationnel »
    Ma douce me traîne à un festival de « musiques actuelles » (faut pas dire « rock » même si c’en est.) Comme je vois une resucée de Young Marble Giants infusée d’électronique dernier cri, vraiment ennuyeuse il faut bien le dire, je regarde l’assistance. Où je vois pas mal de gens qui peuvent être mes parents mêlés à un fort contingent de quinquas-sexas. Les (jeunes) organisateurs sont contents de voir une salle pleine mais se désolent de la faible présence des jeunes pour lesquels le festival a été organisé…

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