Nous avons évoqué dans une précédente « Réflexion faite »* la nécessité de l’adéquation entre la voix de l’interprète et son répertoire pour atteindre la « justesse ». Cependant cette adéquation nécessaire n’est pas suffisante si on ne la retrouve pas aussi dans le choix de l’arrangement instrumental qui accompagne cette voix.
Si la cohérence à ce niveau est assez souvent au rendez-vous dans les productions professionnelles, richement dotées et surtout dirigées artistiquement, les artistes qui s’autoproduisent s’égarent plus facilement dans des choix qui ne les mettent pas forcément en valeur, voire les desservent.
Il faut avoir la voix qui convient au type d’arrangement qu’on désire pour ses chansons. De la même manière, il ne suffit pas de trouver un vêtement très beau sur un mannequin dans la vitrine, il faut aussi savoir s’il correspond à sa propre morphologie et si on est capable de bien le porter**.
Dans bien des cas, une simple guitare, ou un piano, et quelques ajouts minimalistes suffisent à escorter une voix sans qualité particulière, plutôt qu’un accompagnement trop « cossu » qui en étouffe les nuances, qui l’écrase.
Brassens, qui ne se prenait pas pour un chanteur, s’est toujours contenté d’une guitare (parfois deux) et d’une contrebasse***. A l’inverse les voix puissantes de Léo Ferré, Jacques Brel, ou Claude Nougaro, pouvaient « affronter » tout un orchestre.
Je me souviens de l’exemple d’une chanteuse (qui n’a pas fait carrière) qui s’était fait accompagner sur disque, pour quelques chansons, par un quatuor de cuivres remarquable (aujourd’hui on dirait des « pointures »). Les premières mesures du quatuor sonnaient magnifiquement, mais un peu trop ! La voix de la chanteuse qui arrivait ensuite n’en paraissait que plus « riquiqui », voire « médiocre». Il y avait un décalage de « qualité » entre les instruments et la voix.
Beaucoup d’artistes, tout à leur désir d’enrichir musicalement leur production, ne portent pas le « bon vêtement » qui les mettrait le mieux en valeur. C’est dommage.
Les bonnes chansons, la bonne voix, le bon accompagnement, ça fait beaucoup, me direz-vous, on n’est pas sorti de l’auberge ! Oui, bien sûr, mais c’est pour cette raison que les vraies carrières et les grands succès sont si rares et ce « métier » si difficile.
Pierre Delorme
* http://www.crapaudsetrossignols.fr/2016/11/21/soyons-justes/
** Quand on est né chez les prolos on sait bien qu’il est difficile, pour les hommes notamment, de porter sans avoir l’air emprunté (voire déguisé) un costume de cérémonie dans lequel on n’ose à peine bouger, et qu’on est parfois plus « élégant » dans un bleu ou une blouse propre !
*** Leonard Cohen, dont tout le monde s’accorde sur la beauté de la voix, accompagnait le plus souvent ses chansons de très peu chose. On peut réécouter, par exemple, Chelsea Hotel, dont l’arrangement est une merveille de simplicité. Mais c’est vrai que cette simplicité-là est quand même ce qu’il y a de plus difficile à atteindre et réclame finalement pas mal de moyens.
Chelsea Hotel, Leonard Cohen
Arrangements. « Si la cohérence à ce niveau est assez souvent au rendez-vous dans les productions professionnelles, richement dotées et surtout dirigées artistiquement, les artistes qui s’autoproduisent s’égarent plus facilement dans des choix qui ne les mettent pas forcément en valeur, voire les desservent. »
La chanson regroupe plusieurs métiers : auteur, compositeur, interprète, metteur en scène et orchestrateur. On y rencontre trop de gens qui prétendent être également doués dans tous ces métiers…
Pour mémoire, nous avions écrit un article sur cette question : http://www.crapaudsetrossignols.fr/2015/12/10/la-technique-ne-suit-pas/