Les « timbres » ne sont pas morts. Au XIXe siècle, on aimait bien écrire de nouvelles paroles de chanson sur des airs connus, y compris sur des airs d’opéra. Cela s’appelait des timbres. C’était en vogue dans les goguettes, sortes de réunions amicales chantantes. Les Américains eux-mêmes pratiquaient le timbre, mais à leur manière. Woody Guthrie avait expliqué au jeune Robert Zimmerman (Bob Dylan), du moins Bob s’est-il plu à le raconter ainsi, qu’il suffisait pour faire une chanson de prendre un air connu et de modifier quelques notes ici ou là. Ça n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd, puisque Bob Dylan a puisé avec gourmandise (sans scrupules, diront les mauvaises langues) dans le folklore pour composer ses chansons (No More Auction Block For Me est devenue le célèbre Blowin’ in The Wind, par exemple). Cependant, il ne s’agit plus de « timbre » au sens évoqué plus haut, mais de… source d’inspiration, façon Gainsbourg, voire Hugues Aufray, celle qui permet de signer des mélodies jusqu’alors anonymes et toucher de substantiels droits d’auteur.
Pourtant cette tradition du timbre n’a jamais complètement disparu. Parfois, c’est une simple parodie, comme le texte rigolo chanté sur la mélodie de Je l’aime à mourir (Francis Cabrel) et qui met en scène les rapports conjugaux difficiles en cette période footballistique intense.*
Mais la dernière fois que j’ai entendu de véritables timbres, c’était dans une manif ! On avait pris soin de distribuer une feuille avec les paroles « timbrées » ! Dans l’ordre, nous eûmes : Les Banquiers d’abord, sur l’air de la célèbre chanson de Georges Brassens, Les Copains d’abord, puis Avançons, avançons sur l’air de Bella Ciao, et enfin le très réussi Ma retraite, sur l’air de L’Amérique (Jeff Christie, adaptée par Pierre Delanoë), le tube de Joe Dassin.
Bien sûr, la prosodie, si rigoureuse chez Brassens, laisse parfois à désirer dans Les Banquiers d’abord, mais bon, ne soyons pas trop regardant. Et comme l’auteur des paroles n’est pas un lâche, il donne même son nom, tout en laissant le crédit de la musique à Brassens, ce qui est sympa. S’il avait écouté davantage Gainsbourg ou Dylan, il aurait compris qu’il lui suffisait de changer quelques notes pour en faire « sa » mélodie ! Le problème est que Georges Brassens n’est pas un anonyme, il pourrait y avoir des plaintes pour plagiat et, de toute façon, la Sacem ne passe pas dans les manifs, donc pas de substantiels droits d’auteur en vue !
Pierre Delorme
* https://youtu.be/ZrcX10HYMww
La manif est par excellence un biotope favorable à l’épanouissement du pastiche, de la parodie et du « sur l’air de ».
Mais il ne faudrait pas oublier les fêtes familiales, dont les mariages, qui sont aussi fort propices à l’épanouissement de nouvelles paroles sur l’air choisi par le librettiste d’un jour.
Dans ma famille, où s’est transmise d’une génération à l’autre une solide tradition de goupiller des textes de circonstance, on disait qu’un « timbre » était synonyme d’un « air ».
Je ne sais si cette explication est correcte pour un historien de la langue bien qu’on parle toujours du timbre d’un instrument de musique. Mais un grand-oncle chantait une valse romantique (on disait une « romance ») qui était, selon lui, « l’air ou le timbre » originel de La Chanson de Craonne. Pour Craonne il avait raison. Pour le timbre je ne sais.
Tout à fait exact. Les sens de « timbre » sont divers et variés. En musique aussi, le mot a plusieurs sens, notamment celui de « Motif ou air connu sur lequel on ajoute un texte, pour créer une nouvelle chanson » (Centre de ressources textuelles et lexicales). Cependant je crois que cet usage est vieilli et en voie de disparition.
Merci Merci !!! J’apprends plein de choses !