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echelle-double-lyonnaise-un-plan-de-montee-en-sapin-tubesca-391-1Une chanson peut-elle être un moyen d’ « élévation du public » ?
Le prix Jacques-Douai récompense chaque année un artiste de la CFQ dont un des soucis doit être «l’élévation du public » et la contribution à « l’éducation populaire ».
Pourquoi pas ? L’intention semble louable. Cependant, si l’on est auteur de chansons  soi-même, il me semble difficile d’imaginer qu’une chanson qu’on a écrite puisse permettre au public de « s’élever », à moins d’avoir une opinion très, très haute de sa production et une piètre idée du public.
Si l’on est « le public », et on l’est tous à un moment ou un autre, on a bien sûr le droit de se sentir élevé à l’écoute de certaines chansons. Cependant, en me référant à ma propre expérience (mais  « l’expérience est une lanterne qui n’éclaire que celui qui la porte », disait Céline), je crois pouvoir affirmer que si les chansons m’ont procuré bien des émotions et des plaisirs, je n’y ai rien trouvé qui m’ait élevé, c’est-à-dire m’ait fait accéder à un degré supérieur de la connaissance.
Pour tout dire, issu du peuple, si j’ai réussi à m’éduquer un peu (mais rien n’est moins certain) et à avoir l’impression de comprendre un peu mieux le monde qui m’entoure, je le dois à la lecture assidue, et souvent difficile, des historiens, des sociologues et des anthropologues, bref à la fréquentation des sciences dites humaines, qui m’ont permis de jeter un autre regard sur la société dans laquelle je vis et sur ma propre existence. Les chansons, si elles peuvent toucher, émouvoir au plus haut point, ne sont le plus souvent qu’une forme d’expression plus ou moins lyrique qui apporte complaisamment de l’eau à notre moulin sensible et nous conforte dans l’idée que nous nous faisons du monde et de nous-mêmes. Elles nous font frétiller agréablement la sensibilité, mais jamais ne nous bousculent vraiment. Et puis, disons-le, goûter une chanson à texte ne demande pas d’effort particulier, tout au plus un peu de curiosité. En revanche, l’acquisition de nouveaux concepts, de ceux qui vous obligent à revoir vos points de vue (et c’est parfois douloureux), est très laborieuse et demande de véritables efforts, dont on comprend bien que tout le monde n’a ni le temps ni l’énergie nécessaire pour s’y « frotter ».
Qu’une simple chanson puisse éveiller la sensibilité du jeune public, cela ne fait pas de doute, chacun en a fait l’expérience dans son jeune âge. Ce public-là, et nous en fûmes, peut être élevé, après tout on dit bien qu’on élève les enfants. C’est évidemment plus problématique avec « le public », cette masse indéterminée d’adultes aux âges différents. Comment l’élever et l’éduquer ? Et quel chanteur, fût-il de qualité, peut avoir l’audace de se considérer en mesure de le faire ?
Des auteurs, autrement armés que les chanteurs à texte pour ce genre d’exercice, posent parfois la question de la diffusion massive de la connaissance : peut-elle être émancipatrice ou non ? Ils ne sont pas tous d’accord sur la réponse à la question. Certains, la plupart, restent pessimistes. C’est vrai que les arguments des uns et des autres en ce domaine reposent davantage sur de simples impressions que sur des critères scientifiques. Cependant, la question est aussi importante que difficile et dépasse largement le cadre de l’art de la chanson, aussi haute soit l’opinion que les chanteurs « de qualité » puissent avoir d’eux-mêmes, et aussi grande soit l’estime dans laquelle les tiennent leurs admirateurs.

Pierre Delorme

 

4 commentaires »

  1. Quyên dit :

    Accéder à un degré supérieur de connaissances, peut-être pas, mais dans ma petite expérience, il y a eu des chansons qui m’ont « élargie ». A leur écoute, je n’ai pas gagné de connaissances strictement intellectuelles, mais j’ai découvert des émotions que je ne connaissais pas, ou très obscurément, des sensations nouvelles, qui ont élargi ou approfondi mon champ de conscience et, partant, ma façon de voir les gens. Je veux dire que la conscience du champ des émotions, qui peut être amélioré par la chanson (et à tout âge), permet de mieux comprendre d’autres personnes (et soi-même), d’être moins péremptoire, moins obtus. L’expérience de la réalité et des relations humaines est plus complexe et plus riche – il ne s’agit pas toujours de complaisance sentimentale et narcissique. Ca ne donne pas de diplôme, mais ça aide à vivre mieux. A mes yeux, c’est important. Evidemment, tu as raison, l’écoute des chansons ne remplace pas la lecture des livres d’Histoire ou de sociologie. Merci pour ce blog, merci de continuer.

  2. Norbert Gabriel dit :

    Salut
    Tout dépend ce qu’on entend par s’élever, j’ai le souvenir très précis que vers 12 ou 13 ans des chansons m’ont incité à aller chercher en librairie de quoi m’instruire sur des mondes que je ne connaissais que très sommairement, et que ces chansons décrivaient autrement. Et vers 20 ans, Nuit et brouillard a été un choc majeur. Je ne sais pas si ça m’a élevé, mais quelques negro-spirituals, en 1956 ou 57, m’ont amené à redécouvrir une Amérique que je ne connaissais que par Disney et les westerns séries B des années 50. Et la réalité était sensiblement différente. C’est aussi par la chanson que j’ai découvert des poètes, Paul Fort, André Devynck, Roger Bodart et quelques autres…

    • administrateur dit :

      Si vous avez bien lu l’article, vous avez noté que je fais une distinction entre le public « jeune » (et 12 ou 13 ans, voire 20 ans à votre époque, sont des âges très jeunes), à la formation duquel les chansons peuvent contribuer, et « l’élever » au sens de l’éduquer, et le public devenu adulte, qui ayant acquis d’une manière ou d’une autre sa propre culture, n’a pas à être « élevé », quel que soit le sens qu’on donne à ce mot. Notons aussi que les chanteurs (mais sont-ils si nombreux ?) qui se veulent les chantres de « l’élévation du public » et de « l’éducation populaire » écrivent et composent des chansons qui n’ont aucun caractère populaire, au sens où pouvait le dire des chansons de Brassens, Ferré, Brel et consorts, dont l’écoute, autant que je sache, n’abaissait pas pour autant le public. Pierre Delorme

  3. POMMIER Marc dit :

    Sans idolâtrie, je voulais dire que j’aime ce blog parce qu’il laisse le temps de lire… Ce n’est pas le rendement… Ce blog respire à plusieurs choeurs…
    Il y a tant et tant d’artistes de talents que c’est impossible d’en élever un au sommet.
    Floréal, j’ai bien apprécié tes propos sensibles et discrets sur Radio-Libertaire dans « Ça urge au bout de la scène »…

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