Leny Escudero était certainement ce qu’il est convenu d’appeler un type bien.
Les chansons de ses débuts, dans les années soixante, lui ont valu une certaine notoriété, voire une forme de vedettariat. Ses chansons étaient, à cette époque, un peu de la même eau que celles d’Adamo. Tous deux occupaient un même créneau, celui de la chanson populaire « à texte » pour ados. Une chanson différente de celles des yéyés. Leny Escudero, avec son air de beau gosse un peu triste, chantait des ballades romantiques qui séduisaient les jeunes filles tendres. Il n’avait pas une image de voyou comme les rockeurs en cuir, les Elvis en simili qui se trémoussaient sur scène. Bref, comme Adamo, il pouvait plaire aussi aux parents, nonobstant une voix voilée et peu puissante.
Escudero était un espingouin, un peu gitan aussi, on ne savait pas bien. Il a gardé une place à part dans le cœur des anciens ados des années soixante. Mais sans doute est-ce dans les qualités propres de sa personne, ses engagements, ses préoccupations sociales, et son image d’homme intègre, qu’on pourra trouver une raison à ça, plutôt que dans ses chansons, mêmes les plus populaires (Pour une amourette, Ballade à Sylvie, A Malypense).
Brassens avait un peu prêté le flanc à la « polémique » avec sa chanson Mourir pour des idées, celle de Leny intitulée Vivre pour des idées, que le public prit (à tort selon l’intéressé, car antérieure à celle Brassens) pour une sorte de réponse, n’a fait que renforcer l’image du type bien, du « pur », que toute une génération du public populaire avait déjà reconnu comme l’un des siens : un prolo.
Un jour, je lui ai serré la main, comme tout le monde. En revanche je n’ai jamais approché Adamo. Ça fait rien.
Pierre Delorme
C’est surtout à l’auteur-compositeur-interprète « engagé », bien sûr, que les amateurs de chanson à texte rendent hommage au lendemain de la mort de Leny Escudero, cet homme pour qui la parole donnée valait contrat.
Pourtant, son engagement, très ancré à gauche et parfois même qualifié d’anarchiste, ne l’empêcha pas de rendre hommage à certains artistes que le monde de la chanson « qui dit quelque chose » couvre le plus souvent de son mépris le plus profond.
Les mots de Leny Escudero consacrés à Sylvie Vartan, que l’on retrouve ici dans la rubrique « La chanson pêchée à la ligne », en témoignent. Je souhaiterais pour ma part rappeler la réponse qu’il fit également à l’insupportable cuistre Yves Simon qui, dans une chronique de la revue Chorus, se demandait ce que Leny Escudero allait faire dans une bouffonnerie telle que la tournée « Age tendre et tête de bois » : « D’abord, tous les jours, il y a devant nous douze mille personnes qui viennent au rendez-vous de leur jeunesse, sûres d’avoir des petits bouts de bonheur, parce que, avec tous ces artistes, il y a eu des histoires d’amour ! La limite d’âge ? Tu renonces trop vite. Je peux dire avoir vu des centaines de milliers de personnes heureuses quelques instants. Mais peut-être différencies-tu parmi les ʺbonheursʺ : les sublimes, à Honfleur ou sur les bords du lac de Côme ; et les ʺniaiseuxʺ chez les ploucs de l’âme. Moi, je ne crache pas sur les ʺpetits bonheursʺ. »
C’est aussi de ce genre de propos, ne l’oublions pas, que participe cette droiture que chacun salue aujourd’hui en Leny Escudero.
Floréal Melgar
Les deux autres gars ont déjà tout dit. Sauf, peut-être, ce qui suit. Moi, Leny Escudero, quand j’ai vu son premier 25-cm dans la vitrine du magasin d’électroménager de mon village, un après-midi de 1962 en rentrant de l’école, ce sont ses cheveux longs qui m’ont épaté. Il affichait une mèche qui devait lui tomber jusqu’au mitan du nez quand il laçait ses chaussures (cela dit, sur la photo, il porte des mocassins). Faut comprendre : mes copains et moi, après quelques coups de ciseaux pour nous dégager le front et désépaissir la nuque (« Désépaississez-bien, Philémon », intimait mon père sans jamais trébucher sur le premier mot), c’est à la tondeuse qu’on nous coupait les tifs qui repoussaient toujours trop vite au goût du budget familial. Comme je n’avais que dix ans, je courbais la tête afin que plus un poil de nuque ne dépasse. Mais deux ans plus tard, l’année de la cinquième, j’ai obtenu de pouvoir garder une mèche jusqu’aux sourcils. Bien sûr, les Beatles étaient passés par là, mais c’est quand même à ce vieux Leny que je dois ma première velléité de rébellion.
René Troin
Allez ! J’y vais de mon souvenir. Leny Escudero est le premier chanteur que j’ai vu sur scène. C’était à la fête de Lutte Ouvrière à Oullins dans les années 60. Mon père qui n’était pas gauchiste et ne connaissait pas Leny Escudero avait accepté de nous emmener mes cousines et moi en 2 CV. Après avoir erré dans Oullins, banlieue inconnue de nous, pour trouver le parc Chabrière et marché 20 minutes pour rejoindre le lieu de la fête parmi les banderoles et les stands militants (dont je me fichais éperdument) nous avons enfin atteint notre but : la scène où devait se produire Leny. Une petite (bien petite) foule était là pour l’applaudir. Il a chanté, ses succès bien sûr mais aussi, LO oblige, ses chansons plus militantes. J’ai un souvenir très net de ce moment, de son visage déjà buriné, de ses cheveux déjà un peu longs et de cette voix dont certains se moquaient.
Souvent, j’ai eu l’occasion de passer en bus devant le parc Chabrière et chaque fois j’ai pensé à Leny.