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Les-Annees« Au dessert, les chansons patriotiques d’après la Libération avaient disparu. Les parents entonnaient Parlez-moi d’amour, de vieux jeunes gens Mexico et les enfants Ma grand-mère était cow-boy. Nous, on aurait eu trop de honte de chanter comme avant Etoile des neiges. Priés d’en pousser une, on prétendait ne connaître aucune chanson en entier, certains que Brassens et Brel détonneraient dans la béatitude des fins de repas, qu’il fallait de préférence des chansons que d’autres repas et des larmes essuyées avec le coin de la serviette avaient consacrées. On répugnait farouchement à dévoiler des goûts musicaux qu’ils ne pouvaient comprendre, eux qui ne connaissaient pas un mot d’anglais en dehors de “fuck you” appris à la Libération, et ignoraient l’existence des Platters et de Bill Haley.
Mais le lendemain, dans le silence de la salle d’études, au sentiment de vide qui nous envahissait, on savait que la veille avait été, même si on s’en défendait, qu’on avait cru rester extérieurs et s’ennuyer, un jour de fête. »

Annie Ernaux, Les Années, Gallimard, 2008.

The Platters

1 commentaire »

  1. administrateur dit :

    Annie Ernaux, à qui on demande si elle réussit à réconcilier la petite fille de « pauvres » qu’elle était et la « bourgeoise » qu’elle est devenue: 
    « Eh bien non, c’est pas possible. Je me dis que voilà, la coupure est à l’intérieur de moi. Ce sont deux mondes irréductibles. La lutte des classes est en moi. J’ai un mode de vie, une façon physique d’apparaître qui est celle de la classe dominante, je vais pas me le cacher. Mais je sais quelle était ma vision de petite fille, d’adolescente, et ce n’est pas réconciliable. Ma mémoire est dans un monde et ma vie est dans un autre et ça, c’est insupportable.
    Voyez, ce matin je sors de chez moi pour prendre le RER, et je vois qu’une grosse maison se construit. Il faisait très froid. Je vois un garçon avec une brouette. Immédiatement, je n’ai pas besoin de penser, me revient que travailler de ses mains c’est dur, c’est très, très dur. J’ai vu mon père travailler de ses mains, et pourtant je viens là, à Gallimard. Il n’y a pas de réconciliation, sinon sur un plan politique. Mais intérieurement, ce n’est pas possible. »

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