« Ouahhhh, l’aut’, hé ! Y connaît même pas Patachou ! » Je résume, avec le sens de la nuance qui me caractérise, les réactions de quelques vieux amoureux de la chanson française de qualité aux nécrologies a minima prononcées sur les chaînes d’information au soir de la disparition de Patachou.
Je ne fréquente guère l’actualité télévisée, a fortiori quand elle est continue. Mais pour m’être fait une idée, entre deux pressions sur ma zappette, des plateaux de BFM TV ou d’iTélé, il m’a semblé que leurs journalistes sont plutôt jeunes, souvent en deçà de la quarantaine. Comment exiger d’eux qu’ils en sachent long sur cette grande passeuse de chansons et de talents (1) – je n’ai rien vu ni entendu, mais je suppose qu’à chaque flash, le ou la préposé(e) aux nouvelles a consciencieusement rappelé que la dame avait convaincu Brassens de se produire sur la scène de son cabaret montmartrois…
De mémoire, la dernière fois qu’on a entendu Patachou dans le poste assez souvent pour ne pas y échapper, elle chantait Qu’ j’avais marié un Grec. C’était en 1969, il y a donc
46 (quarante-six !) ans. Z’auraient dû inviter un expert pour faire plus complet que la dépêche AFP. Sauf que la chanson, c’est moins glamour que les marchés financiers ou le « retour du religieux ». Alors, question expertise, et j’en connais qui feront chorus avec moi : « Ça eût payé… mais ça paye plus », comme disait un comique de la même période historique. Car Patachou appartient à l’histoire. Comme Ben E. King, qui vient aussi de trépasser. Et l’histoire, sur les antennes et les chaînes, y a des créneaux pour ça.
Cet orgueil inconscient qui amène certains baby-boomers à croire que les émotions de leurs quinze ans pourraient être partagées par leurs petits-enfants, mettons-le sur le compte de « la génération de l’éternelle jeunesse ». Il semble d’ailleurs que ce syndrôme, évoqué par Pierre dans une réflexion d’octobre 2013 (voir lien ci-dessous), commence à s’étendre aux natifs de la décennie 60. En effet, Delphine Ernotte venait à peine d’être nommée à la tête de France Télévisions, que Nagui réclamait le retour de Taratata à l’antenne (2). D’abord, on pourrait discuter du fait de considérer Taratata comme l’alpha et l’omega de l’émission musicale : si à ses débuts, s’inspirant fortement de Later… with Jools Holland (3), ce programme nous a offert nombre de reprises insolites et de duos inattendus, sur la fin il avait tourné au défilé d’artistes en promotion devant un public faisant la ola sur commande. Ensuite, si l’on ne peut que soutenir la demande d’une émission musicale ciblant les jeunes sur le service public de télévision, on aura la sagesse de penser que ces mêmes jeunes auront envie de la voir animée par une ou des personnes proches de leur âge. Or Nagui a aujourd’hui près de dix ans de plus qu’Albert Raisner lorsque Tête de bois et tendres années (4) a quitté l’antenne en 1968. Et cette année-là, l’harmoniciste au large sourire n’avait plus vraiment l’âge d’être le « grand frère » de son public. Alors Nagui, pour qui les Rolling Stones dessinent un horizon indépassable, pourrait peut-être proposer La Chance au rock. On confierait le générique à Jean-Louis Aubert et on diffuserait ça après la sieste, autour de 15 h 30, sur France 3.
Terminons sur un échange récent avec mon petit-fils de douze ans, soit l’âge où j’écoutais Hugues Aufray, Jean Ferrat, Françoise Hardy, Leny Escudero et Amsterdam (en cachette,
à cause des gros mots) :
Moi : Qu’est-ce que tu écoutes comme musique ? ».
Lui : Des openings de mangas.
Moi : Et à part ça ?
Lui : Ben… c’est tout.
Je crois que Patachou attendra. Ben E. King aussi.
René Troin
(1) Ils connaissent certainement mieux la comédienne qui a tourné jusqu’en 2003 pour le cinéma et la télévision.
(2) Source : jeanmarcmorandini.com (eh, oui !).
(3) Émission diffusée sur BBC Two.
(4) Émission qui a succédé, en 1965, à Âge tendre et tête de bois, animée par le même Albert Raisner depuis 1961.
Pour reprendre un coup d’éternelle jeunesse :