De la chanson, il en faut pour tous les goûts… celle de la révolte, celle qui fait réfléchir mais aussi… celle qui fait rêver. » J’avais remarqué cette phrase dans un fil de commentaires sur un réseau social. La discussion portait au départ sur les illusions dans le domaine politique, mais elle a dérivé rapidement (comme souvent dans cet espace virtuel où l’instantanéité l’emporte sur la réflexion, de la même façon que dans un bistrot), et c’est vers la chanson qu’elle a dérivé.
Je pense aussi qu’« il en faut pour tous les goûts », qu’il s’agisse de chanson ou d’autre chose d’ailleurs. Pour ma part, quand je pense « pour tous les goûts », je pense à des chansons légères, à d’autres plus ambitieuses, à certaines faites pour danser ou siffler dans sa salle de bain, à d’autres pour se délecter de poésie, j’en passe. Pour tous les goûts et tous les moments. Mais dans le cas de ce commentaire, les goûts semblent se limiter à la « chanson de révolte », la chanson « qui fait réfléchir » et « celle qui fait rêver »… Trois genres, pourquoi pas ?
Les chansons « de la révolte » on sait ce que c’est. Il s’agit surtout de chansons qui évoquent les révoltes historiques, après coup (Le Chant des canuts d’Aristide Bruant), ou même qui les accompagnent de près (La Semaine sanglante de Jean-Baptiste Clément). Mais les chansons qui font réfléchir, j’avoue ne pas en connaître. Certaines m’ont fait réfléchir, à la chanson en général, à comment les écrire ou les interpréter, les arranger, ou encore à tel point de théorie musicale, mais réfléchir sur autre chose, je ne crois pas. Je n’ai jamais entendu de chanson qui me fasse changer d’opinion, par exemple, sur tel ou tel sujet. Je n’ai jamais apprécié que des chansons qui « pensaient » comme moi, et je ne suis pas le seul dans ce cas, je crois. Peut-être parce qu’une chanson (même celle dont le texte n’est pas destiné au simple divertissement) s’adresse à l’émotion et non pas à l’intellect. Être ému, c’est agréable, réfléchir, ça peut être autrement fatigant et dérangeant. Quant aux chansons qui font rêver, à quoi peuvent-elles bien nous faire rêver ? Je me le demande aussi. Peut-être font-elles rêver qu’on se révolte, ou encore qu’on réfléchit ? C’est bien possible, la plupart des amateurs de chansons que je connais sont des rêveurs révoltés. Réfléchissent-ils en écoutant des chansons ? C’est difficile à dire, tant la réflexion ne semble pas faire bon ménage avec l’émotion, le rêve et ses brumes apaisantes. Je vais de ce pas réfléchir à la question.
Pierre Delorme
Sur cette épineuse question des chansons qui font réfléchir ou non, les trois gars ne sont pas comme les cinq doigts de la main, leurs opinions divergent. Un autre point de vue – ou son de cloche, au choix – dès l’édito de lundi prochain. A suivre, donc.
Salut, voilà un questionnement, comme disent les « penseurs », très pertinent. Réfléchir, je ne sais pas, découvrir, oui souvent. Ça m’est arrivé, il y a pas mal d’années, dans mes enfances péri-lyonnaises, quand des chansons m’ont fait découvrir un monde que je ne soupçonnais pas. Ou si peu. Par exemple, en 1955 ou 56, en découvrant à la radio le negro-spiritual (l’émission « Fleuve profond » de Sim Copans), j’ai eu le sentiment que ces musiques étaient dans mon histoire depuis toujours, alors que la famille est italo-hispano-lyonnaise, sans rien d’américain, ou alors on a oublié depuis longtemps. Est-ce que ces negro-spirituals étaient de la chanson de révolte, de rêve, de réflexion ? Un peu des trois, et je vais de ce pas réfléchir à cette bonne question.
En tout cas, quand Dylan est arrivé, j’avais de quoi être réceptif.
J’attends avec impatience les réactions des cinq doigts de l’autre main… ^_^
Pas changer d’idées forcément mais réfléchir, accompagner et enrichir ma pensée, si, certainement. Et pas forcément celles (les chansons) qui n’abondaient que dans mon sens, ce sont d’ailleurs celles-là qui nous révoltent.
Et à propos de révolte, la chanson est un tout. Le public de certains chanteurs est le même que celui que l’on retrouve dans la rue à crier… sa révolte, c’est indéniable.
Moi, je pense que comme pour la cuisine : cuisine collective qui peut être bien faite et est indispensable pour nourrir au quotidien les pauvres affamés que nous sommes et cuisine gastronomique, réservée non pas à un autre public mais pour un autre moment plus adapté, il existe deux sortes de chansons : une industrielle et qui peut s’avérer très bien faite et agréable à l’écoute et une autre qui, comme dit Louis Capart, dans le silence vient troubler notre indifférence.
Elle est le fruit d’artistes à la parole libre, qui refusent les diktats du système, obligeant les chanteurs, devenus de simples employés aux ordres de leur patron, à devenir des machines à grossir leur porte-monnaie.
Ces gens-là chantent le fruit de leurs réflexions en les transformant en émotions pour leur public.
Donc, tout pourrait être très bien dans le meilleur des mondes sauf qu’un de ces genres étouffe l’autre qui n’ayant pas droit à diffusion ne parvient pas à se faire connaître.
Merci pour ce point de vue. Je ne connais, ou n’ai connu, qu’assez peu de chanteurs qui « refusent les diktats du système », en revanche j’en ai connu beaucoup qui sont, ou furent, refusés par le système. Quant à penser que leurs chansons sont le fruit de leurs « réflexions », même transformées en « émotions », n’est-ce pas leur accorder un bien grand crédit ? Les considérer comme « humbles troubadours » (Brassens) serait peut-être plus approprié.
Qu’un genre étouffe l’autre, pourquoi pas ? Mais n’y a-t-il vraiment que deux genres ? Et même si c’est le cas, on peut se demander si le genre « étouffé » ne s’est pas un peu étouffé tout seul, à force de chansons « étouffe-chrétien ». Je crois que la question peut aussi être posée.
Pierre Delorme