Un portrait de l’artiste en héros de bande dessinée. Voilà ce qui vous vient en voyant la pochette de l’album de Denis Rivet. L’analogie n’est pas fortuite. La musique va de la ligne claire (comme dans Tintin) jusqu’au mur du son (comme dans Buck Danny). Au premier extrême, on trouve L’Eté n’aura pas supporté notre amour, un slow dépouillé jusqu’au squelette, qu’on prendra au premier degré ou au suivant selon sa propre météo amoureuse. A l’autre bout, Pardon, avec ses couches de guitares et d’autoharpe, ses chœurs, sa basse qui gronde et ses coups de tambour.
Le socle musical est posé par Denis Rivet (orgues électroniques, batterie, guitares, basse, piano), Mikaël Cointepas / orgues électroniques, guitares, piano, autoharpe, boîte à rythme) et Marc Arrigoni (guitares, basse, batterie, autoharpe, accordéon, clarinette). Le trio de multi-instrumentistes est épisodiquement rejoint par Frédéric Bobin (guitare électrique), Alexandre Rubi (piano) ou Pierre Le Merre (scratch). L’ambiance générale est au folk-rock tendance America (une référence pour les vieux) ou Wilco (une autre pour les jeunes). Seul un titre tranche : Dans les rues que je monte où le seul piano d’Alexandre Rubi joue des trois temps de la nostalgie. Cette ba(l)lade plaira au piéton des villes qui aime à se perdre dans un « quartier qui n’existe plus ». Comme Modiano avec qui Denis Rivet partage le souci de passer les mots au tamis. Le romancier comme le parolier en sont très économes : les amateurs exclusifs de chanson poético-lyrique fuiront Denis Rivet ! Les autres apprécieront son art de la répétition et ses jeux sur les sonorités (« Si je veux toucher ta bouche, je touche ta bouche »), l’effet de boucle textuelle généré par l’alternance rapide couplet / refrain (« Danser avec les gens, le soir de la Saint-Jean / Autour du grand feu, autour du grand feu / Lâcher ce vague à l’âme, sur les plaines d’Abraham / Autour du grand feu, autour du grand feu / Je me souviens de tout / Je me souviens de vous / Autour du grand feu, autour du grand feu / […] »), les espiègleries homophoniques qu’on ne décèle qu’à la lecture des paroles (comme quoi, c’est parfois nécessaire un livret, et celui inclus dans le Digipak bénéficie d’une typographie élégante et lisible). Les audaces aussi, comme la longue intro du premier titre, où les instruments arrivent l’un après l’autre sur fond de batterie tribale (le Boléro de Rivet, en quelque sorte). Plus loin, Jean-Marc distille les états d’âme d’un VRP (« Je n’dors pas beaucoup, j’ai du mal à lâcher prise / Et cette entreprise va me tordre le cou ») avec en écho les voix de Benoît Poelvoorde et Julien Boisselier qui jouaient deux galériens du porte-à-porte dans le film Les Portes de la gloire.
Puisqu’on en est aux voix… celle de Denis Rivet est dans l’air du temps des Daho, Barcella, Belin ou Prohom – avec lequel il partage un duo sur Après. Il ne tient pas la note, il la chante au plus juste. Alors Jean-Marc, mais aussi Dis-moi comment, et pourquoi pas le titre phare, Tout est triste, rien n’est grave, pourraient bien se retrouver dans quelques playlists. C’est pas bien, je sais, mais ils n’avaient qu’à pas le mériter.
René Troin
Denis Rivet, Tout est triste, rien n’est grave, 1 CD 12 titres + 1 livret 16 p. (dessin de Jean-Christophe « Moï » Martinez, graphisme de Stéphane Emptaz), Anthropoïde, 2014.