Ainsi, la chanson, dans son âge d’or, connaissait des artisans* qui mettaient l’amateur éclairé à l’abri des sous-produits de l’industrie du showbiz. C’est vrai que le père Brassens et l’abbé Brel n’ont eu besoin que d’un crayon, d’un cahier, d’une guitare et d’une chambre mal chauffée pour coucher leurs premières chansons. En modestes artisans. Comme John Lennon et Paul McCartney, quoi. Eux, autour de leurs seize ans, se retrouvaient chez le second, au 20 Forthlin Road, dans Allerton, un faubourg de Liverpool. Pour les futurs Beatles comme pour les deux grands B, l’histoire ne serait guère allée plus loin si les méchants industriels ne s’en étaient pas mêlés. Brassens a signé chez Philips, Brel aussi, mais c’est chez Barclay qu’il prit son envol. Quant aux Beatles, le phénomène connut une telle ampleur que les producteurs grand-bretons s’empressèrent de signer la moindre bande de quatre ou cinq jeunes Liverpudliens nantis de deux guitares, d’une basse, d’une batterie, et parfois d’un chanteur sans rien dans les mains. Mais aujourd’hui, si l’on n’a pas oublié les Beatles, qui se souvient des Swinging Blue Jeans (Hippy Hippy Shake, n° 2 en décembre 1963), de Gerry & The Pacemakers (How do you do it?, n° 1 en avril 1963), de Billy J. Kramer & The Dakotas (Little Children, n° 1 en mars 1964) ? On les a pourtant beaucoup entendus et vus à la radio et à la télévision, il y a cinquante ans. Mieux, les trois formations citées tournent encore**. En France, les affreux du showbiz ont réagi tout pareil au succès de Brassens et de Brel. Ils ont embauché sans barguigner tout ce qui troussait la rime dans les cabarets parisiens en s’accompagnant à la guitare – le pied ou non sur une chaise – ou au piano : Jean Arnulf (Philips), Gribouille (Columbia), Jean Vasca (Polydor), Anne Vanderlove (Pathé), Jacques Debronckart (CBS)… Seul Jacques Bertin***, à qui « Eddy (sic) Barclay proposa [un] contrat […], n’y échappa qu’à cause d’une certaine méfiance instinctive envers le personnage ». C’est beau comme une légende. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, si l’on n’a pas oublié Brel et Brassens… Je continue ?
René Troin
* Lire Le bal des prénoms (rubrique « Editos).
** Avec, cela va de soi, plus ou moins de leurs membres originaux.
*** Tel qu’il le relate dans un texte intitulé Le show business est une ordure, consultable sur son site internet.
Meilleurs vœux, René, et bon vent, belles rimes aux vilains crapauds de la chanson françoise.