Voilà quelques jours, l’un de nos amis écrivait sur sa page Facebook que la voix d’une interprète qui a chanté beau et fort les vers de Mac Orlan au début des années soixante était « aujourd’hui démodée ». L’instantanéité des réseaux sociaux étant ce qu’elle est, une amie de notre ami répondait aussitôt que ladite voix était non seulement « indémodable », mais encore « intemporelle ».
Désolé, mais nous soutiendrons ici que notre ami a raison (sinon, serait-il notre ami ?). Il en va de la chanson comme des autres arts. Au théâtre ou au cinéma, l’Actors Studio est passé par là, personne ne joue plus comme Louis Jouvet ou Edwige Feuillère. En littérature, depuis que les soirées sont moins longues et les trajets en train plus courts, les romans qui marchent sont souvent brefs. Dans la chanson, l’avènement des auteurs-compositeurs-interprètes, avec leurs voix « imparfaites », a relégué les purs organes d’Armand Mestral ou de Mathé Altéry aux seuls théâtres d’opérette. La voix puissante de Jacques Brel, alors, fut à la mode. Et quelques-uns en profitèrent : Maurice Fanon, Henri Tachan, Gribouille, Jacques Debronckart – le voisinage vocal n’enlevant rien à leurs talents respectifs d’auteurs et/ou de compositeurs… Maintenant que Rennes a donné Daho à la France, la mode est au filet de voix, qui peut tout aussi bien porter de beaux morceaux de Vincent Delerm, Miossec, Vanessa Paradis, Renan Luce, ou encore Elisa Point – chère à un autre de nos amis Facebook.
Cela dit, la mode, on le sait, a ses cycles, et la chanson n’échappe pas au phénomène. A la fin des années soixante-dix, la France a connu un revival de la chanson réaliste, qui s’est souvent traduit chez nombre de trentenaires d’alors par une folie Damia, une frénésie Fréhel et une irrépressible envie d’offrir des roses blanches. Une mode qui a permis à Michèle Bernard – dont les chansons n’ont rien de passéiste – d’enregistrer dans une major, et de voir s’ouvrir de belles salles et le studio du Grand Echiquier. Dans ces mêmes années, d’ailleurs, on a pu voir l’interprète de Mac Orlan, évoquée plus haut, remonter sur scène avec son accordéoniste de mari.
Reste l’intemporalité dont l’amateur aime parfois parer les chansons et les artistes qu’il aime tout particulièrement, et surtout depuis longtemps. Ne pourrait-on pas y voir une manière d’exprimer son affection, quand elle déborde ? Comme un excès d’enthousiasme qui est peut-être aussi une simple manière d’affirmer sa fidélité à ses propres goûts malgré le passage du temps ? Alors, l’intemporalité, c’est chacun la sienne, vu qu’à partir d’un certain âge il n’est guère raisonnable de parier sur la pérennité d’œuvres trop jeunes pour qu’on puisse les voir vieillir. C’est pourquoi, en général, ces chansons, mais aussi ces livres et ces films, que nous regardons comme intemporels, datent de notre jeunesse, laquelle, malheureusement, n’a qu’un temps.
LTG
Mais qui a osé écrire « ça » sur Monique Morelli sur sa page Facebook ?