Sur mon Teppaz, j’ai écouté Le Mal de leurs vingt ans par Audrey. Comme une madeleine du temps de mes onze ans. En mille neuf cent soixante et quelques, le dimanche matin, sur Radio Monte Carlo, Henri Salvador jouait les disc-jockeys pendant une demi-heure. Le temps de programmer une petite dizaine de chansons produites par ses soins. Les siennes, bien sûr, et pas seulement les tubes – si Zorro a souvent chevauché les ondes, je me souviens avoir entendu aussi Count Basie ou Dis Mr Gordon Cooper. Et celles de ses poulains de l’écurie Salvador (puis Rigolo, à partir de 1964). Pour eux aussi, il composait. C’est lui qui signe la musique du Mal de leurs vingt ans. L’air est dans l’air du temps, pas l’accompagnement jazzy. Audrey a du métier. Deux ans déjà (soit, pour l’époque, une espèce d’éternité) qu’elle a passés chez Polydor où elle a enregistré cinq 45-tours (les cadences étaient infernales) sous le nom d’Audrey Arno. La voix haute et claire, avec une pointe d’accent de son Allemagne natale, elle se promène sur une dentelle de contrebasse et de percussions, vite renforcée par des cuivres et des chœurs énergiques. L’ensemble tourne rond et propulse avec conviction le message de Maurice Pon – l’un des deux fidèles paroliers maison, l’autre étant Bernard Michel. Cette variation sur le thème du conflit des générations établit un constat – « On dit sans cesse du mal de la jeunesse / On dit qu’elle ne pense qu’à tout casser / Qu’à part le bruit, la danse et la vitesse / Rien n’a de chance de l’intéresser » –, revendique une saine arrogance – « S’ils disent ça c’est parce qu’ils ont encore / Le regret de n’ pouvoir plus faire comme nous / Mais ils n’ont plus ce feu qui nous dévore / Eux qui voudraient tant rester dans le coup » – sans négliger une part de sagesse – « Même s’ils disent du mal de la jeunesse / Avec eux, ne soyons pas trop méchants / Pardonnons-leur ce qui n’est que tristesse / Peut-être un jour en ferons-nous autant ».
En 1969, Audrey rejoint la troupe du dîner-spectacle La Tour Eiffel s’amuse. Quelques années plus tard, elle s’envole pour Las Vegas. En résumé, Audrey Arno a franchi le Rhin avant de traverser l’Atlantique. Les géographes hydrophiles apprécieront.
René Troin
Audrey, Le Mal de leurs vingt ans (paroles : Maurice Pon – musique : Henri Salvador – arrangements : Christian Chevallier), 1963.
J’aime ces madeleines, ces vieilleries qui du coup, ne sont par perdues pour tout le monde.
Audrey qui nous venait de l’univers du cirque.