Et si l’une des héritières de Tim Hardin, Guy Clark, Townes Van Zandt et autres grands mélancoliques de l’americana était française ? C’est l’idée qui s’impose quand finit de résonner l’ultime note du dernier des quatre titres du premier EP d’Alma Forrer.
La chanteuse a vingt ans, et dans la voix une fêlure plus vieille et un voile qui vont à ses chansons pleines de doutes et d’ombres : « Bobby tu chantes les ombres, les visages blêmes / Et dans ses yeux tu sombres / La nuit se referme entre ses doigts / Bobby ce mal qui te plaît, ce mal qui te tient / C’est l’écho du passé, et l’appel de demain […]. » Au détour d’un autre refrain, surgit la vision fugace de « bleus champs de lin ». Ailleurs encore, cette supplique : « Pardonnez-moi de n’être pas / La fille que vous voudriez / Pardonnez-moi tout le silence / Pardonnez-moi ce mois de mai. » Bref, hormis une concordance des temps pour laquelle on hésite à lui accorder la licence poétique (« Je t’avais dit quand tu reviens / Je t’attendrai […] »), on ne cherchera pas d’autres poux dans ces textes qui balancent entre « je » et « tu ». Comme Alma Forrer se tient entre la France et l’Amérique, citant, parmi ceux qui lui ont donné l’envie d’écrire et de chanter, Jacques Douai et Joan Baez. Il y a de la cohérence dans ces influences : les deux interprètes ont œuvré, chacun de son côté de l’Atlantique, à la renaissance de leurs folklores. Et tous les deux l’ont fait en s’accompagnant à la guitare, comme Alma Forrer. Sur son picking, qui court d’un bout à l’autre du disque, Stephen Munson a ajouté, en homéopathe, un peu de la guitare électrique de Mocke Depret, du piano de Julie Darnal, de la basse, de l’orgue ou des cordes de Mick Conroy, du fantôme de la voix grave de Baptiste W. Hamon, choriste pour l’occasion.
Ce parti pris d’arrangeur, qui rappelle celui de John Lissauer pour l’album de Leonard Cohen New Skin For The Old Ceremony, souligne des mélodies fines autant qu’évidentes, du genre que l’on fredonne. Celle d’Où tu me mènes est si parfaite qu’on pourrait la croire empruntée à un traditionnel américain de la même veine que 500 Miles (en français : J’entends siffler le train). Celle de 29 avril, plus « française », porte, sur trois temps, une histoire de rupture qui n’aurait pas déparé dans le répertoire de la jeune Anne Sylvestre – autre inspiratrice revendiquée par Alma Forrer qui partage avec elle le sens du détail vécu : « J’ai pris mon sac et ce manteau / Qui ne m’a jamais tenu très chaud. »
Le 16 septembre dernier, Alma Forrer était sur la scène des Trois Baudets, à Paris. A la sortie, elle a vendu 100 (cent !) de ses petits disques. On mesure, à ce chiffre, l’enthousiasme du public – jeune ! – devant lequel elle s’est produite ce soir-là. L’anecdote devrait se retrouver dans son dossier de presse, et ce mini-CD autoproduit devenir mythique. Dans quelques années, il y a ceux qui pourront dire : « Je l’ai. » Comme d’autres ont dit de Woodstock ou des adieux de Brel à l’Olympia : « J’y étais. »
René Troin
Alma Forrer, EP 4 titres, autoproduit, 2014. Prix : 6,50 € (port compris). Pour le commander, écrivez à : almaforrerep@gmail.com
A l’été 2012, Alma Forrer a chanté Où tu me mènes sous un porche à Austin (Texas), ramenant la chanson à sa source.