Nous ne sommes pas en mesure de publier ces petites nouvelles à la manière des précédentes (c’est Walter qui s’en chargeait pour nous) sans risquer de mettre en péril la moité du site, de faire exploser les crapauds et s’envoler les rossignols. Voilà pourquoi elles figurent dans notre jardin conservatoire des années soixante : Teppaz et SLC. A l’utile et l’agréable se joint aussi une forme de logique puisque les trois « récits » concernés nous ramènent vers ces mêmes années soixante, époque à laquelle les trois gars avaient le pied léger !
On dansait le slow sur des chansons dont le romantisme de pacotille touchait nos cœurs de quinze ans. La danse était un prétexte, on essayait de « rouler des pelles », de « sortir avec », ce qui était bien normal vu que tous les garçons et les filles de notre âge se promenaient dans la rue deux par deux. Je me souviens d’avoir atteint le « nirvana » d’un baiser pendant Céline, par Hugues Aufray. Je n’étais pas peu fier, devant mes copains ! J’en ai toujours gardé une sorte de tendresse pour ce chanteur à la voix métallique, sans grand charme, mais j’ai oublié le prénom de la petite demoiselle, il n’y eut pas de suite, on devait habiter deux quartiers trop éloignés l’un de l’autre. Ces baisers-là, c’était seulement pour essayer, pour s’exercer.
Après ce premier succès, je me suis enhardi et j’ai roulé des pelles, des patins, des galoches, sur des tas de chansons pour ados de l’époque. J’ai même « emballé » sur l’Adagio d’Albinoni (qui n’était pas vraiment d’Albinoni, on le sait maintenant, mais je n’avais pas « emballé » vraiment non plus), qui était un tube de l’époque, chanté par Udo Jurgens (entre autres).
Ensuite, j’ai commis une erreur. Je me suis mis à la guitare, pensant jouir d’un certain prestige auprès des filles… Hélas, mes copains prenaient les filles par les épaules tandis que j’esquintais les triolets de Jeux interdits *! Ils dansaient même parfois et s’embrassaient sur les chansons romantiques que je chantais en laissant fondre mon cœur d’artichaut ! Pendant que je faisais mes gammes et arpèges, certains, plus hardis, faisaient les leurs dans un autre registre.
Il me faudrait attendre un peu pour atteindre cet autre « nirvana » bien plus intimidant qui nous hantait ! Mais ça, c’est une autre histoire. Entre-temps, j’avais pris goût à la guitare et, oserai-je le dire, elle s’était mise à m’intéresser au moins autant que les filles… Une question de courbes, de galbe peut-être ? Ça n’a pas manqué de nuire à mon palmarès de « tombeur » en herbe ! Tant pis, et puis, fort heureusement, certains jeunes filles étaient sensibles à la six cordes et aux chansons sur lesquelles on ne peut pas danser. Elles savaient qu’on peut s’embrasser, et plus si affinités, en silence, sans le prétexte d’un slow, un joli coucher de soleil peut suffire! C’était extra ! Pour moi la vie pouvait commencer.
Pierre Delorme
* J’étais aussi bidon que Souchon dans sa chanson, cependant je n’ai jamais bousillé Satisfaction !