A l’époque où un bon ami et moi animions l’émission « A rebrousse-poil » la bien nommée, sur l’antenne de Radio-Libertaire, nous prenions un malin plaisir à diffuser régulièrement, en guise de pauses musicales, deux chansons de Sarcloret, Idéologiquement louche et Du brun, sachant qu’elles avaient le don de grandement irriter quelques révolutionnaires intransigeants qui ne manquaient jamais, en effet, de nous faire savoir, avec le ton qui sied à tout commissaire politique en puissance, combien ce genre de chansons était de nature à éloigner certains sympathisants de l’engagement militant et des lendemains qui chantent dans la ligne.
Si le temps passe, les mêmes rigidités, le même sectarisme et, disons-le, la même bêtise continuent de se manifester de temps à autre au sein d’une partie du public sensible à la chanson française de parole, rigidités, sectarisme et bêtise contre lesquels, hélas, l’anticonformisme salutaire des Brassens, Sarcloret et quelques autres ne peuvent rien. J’ai souvenir, par exemple, qu’au sortir d’un concert de Béa Tristan, à Barjac, lieu par excellence de tous les procès en sorcellerie instruits par la cohorte des bien-pensants de la rive gauche, une dame au propos acéré comme un tranchant de guillotine clamait haut et fort que cette artiste faisait « l’apologie du colonialisme », rien que ça, à travers sa chanson Les Palissandres, prouvant ainsi, si on pouvait encore en douter, qu’un individu peut parfois être franchement de gauche et parfait imbécile.
Cette fois, c’est l’auteur-compositeur-interprète Jean Dubois qui s’en est alarmé en faisant part, sur un réseau social, de sa tristesse. « Je suis très contrarié, nous dit-il. Dans un de ces débats feutrés qui font le charme de notre pitoyablement petit monde de la chanson française de qualité, mon ami Barthélemy, dont les œuvres vivifiantes donnent sourire, courage et pensée à ceux qui ont la chance de l’entendre chanter, se verrait taxé d’avoir une inspiration réactionnaire, en un mot d’être un chanteur de droite. La venue de Sarcloret en France, à Paris, m’avait fait espérer un bol d’air. Je vois qu’il n’en est rien. Qu’au lieu de cela, perdure et prospère une crispation ricaneuse autour des devoirs politiques de la chanson, considérée comme simple outil d’une pensée de gauche, évidemment non socialiste ! »
Si vous ne connaissez pas Barthélemy, l’écoute de quelques-unes de ses chansons, aisément repérables sur internet, vous convaincra rapidement de l’effarante stupidité de ces accusateurs publics au petit pied qui encombrent et polluent toute réflexion un peu sensée autour de la chanson. Il est pour le moins désolant de constater qu’il puisse encore exister des publics qui assignent très autoritairement un rôle unique à celle-ci. Il est ainsi des personnes pour qui toute chanson dite à texte est absolument insupportable et qui ne veulent voir en cet art populaire qu’un moyen de pur divertissement, et pas autre chose. Et puis il y a ceux-là pour qui la chanson ne serait, comme le souligne Jean Dubois pour le regretter avec raison, qu’un outil de propagande semblable aux tracts politiques – de gauche ! forcément. Autre face d’une même médaille, ce travers désolant ne peut d’ailleurs qu’être accentué par la posture ridicule de résistants maquisards adoptée par nombre de défenseurs d’une chanson française de qualité menacée par les hordes barbares du showbiz et la langue anglaise. Si La Danse des canards et certains crétins incultes de la variété télévisée ont de quoi nous faire fuir ou provoquer parfois notre colère, la peste soit également de ces Fouquier-Tinville de la chanson qui jamais ne chantent pour passer le temps.
Floréal Melgar
Bien d’accord avec ce qui est écrit ci-dessus.
Juste une petite précision : l’éventail des amateurs-écouteurs-apprécieurs de chansons est largement diversifié entre les dinosaures barjaquiens et les évaporés de la chanson bizenessée. J’en suis.
Signé : l’homme au parapluie rouge.
Des idées, c’est utile ! Des idéaux, c’est beau ! Des idéologies, c’est louche !
J’adhère parfaitement à vos propos. Je me souviens particulièrement des années 70 et 80 où un certain public qui se disait ouvert et tolérant, prétendant changer la société, n’hésitait pas à huer et à jeter avec mépris les premières parties des artistes qu’ils venaient soutenir (à peine plus vedettes que la première partie).
Et il est vrai que malheureusement qualifier les tenants d’une certaine chanson française pure et dure de Fouquier-Tinville est à peine exagéré.
Jadis, j’ai été confronté au sein d’une association à un boycott organisé par des admirateurs de Jean Vasca parce que nous étions quelques-uns à vouloir inviter Jacques Bertin, qu’ils ne supportaient pas.