Christian Paccoud. Voilà encore un gars à part, en marge de la chanson en marge. Comme quelques-uns de ses collègues tenus à distance par les clans, il est rare, c’est le moins qu’on puisse dire, qu’on aperçoive son nom sur les affiches des festivals qu’affectionne le public de cette chanson-là. Allez savoir pourquoi… Et la marge, précisément, Paccoud s’y intéresse de près. Mais une autre marge ! Celle de la vie qu’on cache derrière de hauts murs, derrière des portes à grosse serrure. Depuis plus de quinze ans, ce curieux bonhomme s’ingénie à rendre visite à des adolescents et jeunes adultes peu ou mal adaptés aux règles et normes de notre société, et qu’on place pour cela dans des foyers. Durant deux ans, il s’est rendu également dans un centre de soins psychiatriques, pour y œuvrer, avec les malades mentaux, à un travail de création, car, insiste-t-il, « je ne me considère jamais comme un thérapeute ni comme un enseignant. Je suis juste là pour faire une œuvre collective, comme avec n’importe quel acteur, auteur ou musicien ». De ces divers séjours au cœur de la détresse humaine, Christian Paccoud a tiré plusieurs spectacles qui figurent désormais sur un double album : Les Petits Damnés de la terre, fruit du travail effectué dans cinq ateliers avec des adolescents placés en foyers ou au centre éducatif fermé de Sainte-Ménehould, et Une chanson pour Antonin, issu d’ateliers d’écriture menés, en compagnie d’Armelle Dumoulin, au sein de l’établissement public de santé Barthélemy-Durand, à Etampes, dans le cadre de l’opération « Culture à l’hôpital ».
Dans les foyers, des ateliers-théâtre étaient proposés, au sein desquels venaient s’incorporer des chansons écrites et interprétées par les adolescents eux-mêmes. L’objectif étant pour tous les participants de retrouver une certaine confiance en soi par le biais de la création artistique. Toutes les chansons créées, on s’en doute, traduisent dans leur grande majorité les problèmes vécus par ces adolescents. On y aborde les rapports conflictuels avec les parents et l’Autorité, la violence, l’alcoolisme, l’inceste, le viol, la drogue, puis ce qui en a découlé, la justice, la prison, l’humiliation, l’isolement, la solitude.
Au centre de soins psychiatriques, partant du fait, comme le proclame Paccoud dans son spectacle, que « tout le monde peut écrire une chanson », les séances d’écriture ont consisté à glaner la parole foisonnante des malades mentaux, pour en conserver principalement les nombreuses fulgurances balayant tous les champs de l’imaginaire, et d’organiser le tout pour qu’il en demeure un long chant, dédié à Antonin Artaud, fait de quarante-cinq « chansons » d’inégales longueurs mises bout à bout.
Christian Paccoud et Armelle Dumoulin ont puisé dans tout ce travail accompli pour présenter sur scène, comme ils l’ont fait récemment au Forum Léo-Ferré, à Ivry-sur-Seine, un spectacle intitulé Les Magnifiques, en compagnie des Sœurs Sisters, un groupe de quatre filles*, chanteuses, comédiennes et musiciennes, à qui l’on pourrait d’ailleurs attribuer ce qualificatif de « magnifiques » s’il ne servait déjà pour le titre du spectacle. Dans une mise en scène colorée et subtile, Christian Paccoud, au chant et à l’accordéon, accompagne ces quatre sœurs complices qui restituent fidèlement, sans pathos ni pleurnicheries, la parole de ceux qui ne l’ont jamais, avec tour à tour fougue, tendresse, colère, humour, et toujours un flot d’émotion gigantesque.
Si le désespoir pointe évidemment le bout de son nez dans nombre d’écrits et de cris jaillis de ces creusets de la misère, n’allez pas croire que ce spectacle en soit pour autant désespérant. Au contraire, la vie est là, avec ses tristesses, certes, mais aussi ses espoirs et parfois ses joies. Des moments de franche drôlerie viennent même se glisser ici ou là dans le propos poignant qui nous est adressé (« Je suis le champion du monde des enfants au cœur pur », dit l’un d’eux). Notamment dans ces énumérations de « Je veux » que ces malheureux, à travers les artistes, lancent à la face du monde et où se côtoient des désirs enfantins (« Je veux manger à la cantine », « Je veux rentrer à la maison ») et des envies poético-surréalistes (« Je veux vivre en Belgique ! », « Je veux que les escargots arrêtent de baver »). Oui, la vie coule dans ces propos, « comme une liqueur d’émotion distillée dans le dos des institutions humaines ». C’est pour moi l’un des plus beaux spectacles vus depuis longtemps. C’est bouleversant.
Floréal Melgar
* Aurélie Miermont, Armelle Dumoulin, Céline Vacher et Elena Josse.
C’est pour moi l’un des plus beaux spectacles vus depuis longtemps. C’est bouleversant.
ITOU
J’adore ce spectacle, et surtout j’adore Christian et Armelle. Je les ai connus grâce à un atelier de théâtre au théâtre de Douai. J’aimerais les revoir.