Dans une école nationale de musique dont un département est dédié à la chanson, la rentrée est un moment privilégié pour rencontrer et auditionner un bon nombre de jeunes gens qui chantent et écrivent des chansons. Bien sûr, certains ont la gorge plus grande que la voix et des rêves de professionnalisme bien trop hauts pour eux, mais ils sont rares. En revanche, des chanteuses et des chanteurs de talent dont les ambitions sont plus modestes, plus réalistes, ne manquent pas, ils sont même de plus en plus nombreux à se présenter. Leurs voix sont belles, leurs chansons bien « troussées » et ils les accompagnent simplement, avec goût.
Je me dis que l’écart entre ces inconnus-là et les jeunes « élus » du métier n’est pas si important que ça, il m’arrive même de penser qu’il n’existe pas du tout. Alors, où se situe la différence ? Certainement dans le manque d’ambition, dans le provincialisme et l’absence des rencontres « efficaces » nécessaires au lancement d’une carrière. Lorsque l’on est provincial, sans relations, et qu’on a les dents d’une taille raisonnable, il est très difficile de se faire connaître et reconnaître. Les paramètres de la réussite sont multiples et, à talent égal (si tant est que le talent se mesure ou se pèse), c’est la volonté sans faille de réussir et une confiance en soi inébranlable qui font la différence. Cette confiance qui permet notamment de frapper à toutes les bonnes portes et d’établir les bonnes connexions.
Cependant je me demande parfois si cette ambition sans faille et cette confiance en soi inébranlable, auxquelles il faut ajouter la persévérance, ne prennent pas le pas sur le talent lui-même et ne deviennent pas les seuls paramètres qui comptent à l’aube d’une carrière. De là à penser que ce ne sont pas les plus doués qui réussissent, mais les plus volontaires et les plus endurants, il n’y a qu’un pas… que je ne franchirai pas. Ça serait passer la limite au-delà de laquelle on a tôt fait de croire, voire de prétendre, que tout ce qui est « connu » l’est grâce à sa médiocrité et à ses compromissions, et que tout ce qui ne l’est pas mériterait de l’être. Et ça, je ne le pense pas.
Je voulais simplement constater ici que l’écart entre le professionnel et l’amateur est de plus en plus mince, d’ailleurs bien des « professionnels » ne le restent pas très longtemps… remplacés très vite par de nouveaux « amateurs ». Les repères sont brouillés. Il y a une sorte d’homogénéisation de la pratique chansonnière et tous les espoirs sont permis pour chacun ou presque, même pour ceux qui ne cherchent pas à « faire ce métier » à tout prix, mais qui conservent tout de même en secret un vague rêve dans un coin de leur tête. Ils sont nombreux.
Certains courent les castings, les tremplins et les concours, pendant que d’autres essaient d’entrer dans une école qui ne peut pas leur donner les clés du succès, mais qui peut leur permettre d’apprendre un peu de musique, d’analyser des chansons et de réfléchir à leur histoire, de découvrir d’autres univers musicaux, c’est-à-dire de se cultiver. Ce qui n’est pas idiot. Et peut-être certains se feront-ils connaître du public par la suite, pourquoi pas ?
Pierre Delorme