J’ai profité des vacances pour visiter les hauts lieux de la Résistance, où les plus courageux d’entre nos anciens sont tombés sous les balles ennemies. C’est émouvant de faire un tour dans ces paysages verdoyants où les maquisards vivaient tant bien que mal, entre deux opérations dont certains ne revenaient pas. On les imagine, comme sur les photos en noir et blanc au pourtour dentelé, le béret incliné sur le crâne, la mitraillette au côté, et le sourire aux lèvres. Ils étaient jeunes et sympathiques, on aurait dit qu’ils n’avaient pas peur de mourir.
Je me suis promené un moment entre les arbres et les rochers, un peu de mousse a poussé sur leur dos, mais ils sont là comme hier, quand ils étaient le « maquis ». Je pensais avec émotion au courage de ces jeunes gens, et à tous ceux qui luttent aujourd’hui quelque part dans le monde pour la liberté et la dignité des leurs. Moi-même, aurais-je assez de cran pour risquer ma peau ? C’est le genre de question qu’on se pose en passant, puis qu’on laisse de côté, sans connaître la réponse.
J’ai pensé aussi à cette chanson que chantait Leonard Cohen à la fin des années soixante, La Complainte du partisan, une chanson française que nous ne connaissions pas alors et qui nous revenait après un détour par le Canada (et le showbiz), traduite en anglais (en partie). De cette période de la guerre, nous ne connaissions que le célèbre Chant des partisans, l’hymne de la Résistance (les paroles sont de Joseph Kessel et Maurice Druon, et la musique d’Anna Marly). Anna Marly a aussi composé la musique de La Complainte du partisan, sur des paroles d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie. Nous avons découvert par la suite la version française de cette complainte, interprétée notamment par Marcel Mouloudji. La mélodie n’est pas tout à fait la même et la fin de la chanson également.
« Oh, the wind, the wind is blowing / Through the graves the wind is blowing / Freedom soon will come ; Then we’ll come from the shadows », chante Cohen, ce qui traduit à nouveau en français donnerait : « Oh le vent, le vent souffle / Sur les tombes le vent souffle / La liberté bientôt viendra / Alors nous sortirons de l’ombre. » Tandis que la version originale dit : « Le vent souffle sur les tombes / La liberté reviendra / On nous oubliera / Nous rentrerons dans l’ombre. » Ce qui n’est pas la même chose… Rentrer dans l’ombre ou en sortir, ça n’est pas pareil.
Ces derniers vers, poignants, évoquent les combattants de l’ombre retournés à l’anonymat après la victoire. Tous n’y sont pas retournés. Certains ont bâti ensuite de très belles et longues carrières, généralement on dit d’eux qu’ils sont, ou furent, de « grands résistants ». Mais ceux rentrés dans l’ombre, et ceux qui ont laissé leur peau, n’étaient-ils pas aussi « grands » que les autres ?
Sans connaître la réponse à cette question, j’ai repris la voiture et mis le cap sur la rentrée.
Pierre Delorme
La Complainte du partisan (Anna Marly / Emmanuel d’Astier de La Vigerie), par Marcel Mouloudji.
A cet égard, je suis justement en train de terminer le bouquin de Daniel Cordier (secrétaire de Jean Moulin de juillet 42 à son arrestation en juin 43), Alias Caracalla. C’est un témoignage très riche et souvent bouleversant sur la vie, le quotidien et les cheminements intellectuel et idéologique d’un tout jeune homme de cette époque.
Je me permets d’en recommander chaleureusement la lecture.