Reims Oreille n’a pas d’œillères. En revanche, ce journal – gratuit – en ligne, dont le numéro 36 vient de paraître, a des dents et mord dans la chanson avec un appétit qui fait plaisir à lire. Ça commence par l’édito de Jean-François Capitaine. Je n’en citerai rien : lu dans son entier, c’est très drôle – donc, un extrait, ce serait gâcher. Pour suivre, il y a « La compil de Lise Martin », une jeune chanteuse qui dit des choses bien jolies sur dix chansons qu’elle aime. Genre : « Yann Tiersen [fait] partie de ceux qui savent raconter des histoires avec la musique elle-même. »
Autre plume récurrente (et récurante !) de Reims Oreille, Cyril C. Sarot montre du doigt (Dieu que c’est laid !) « certains amateurs de chanson, qui considèrent que les médias ou les grandes enseignes de diffusion de la culture sont des incapables, des bonimenteurs de bas étage, des aveugles incultes, une honte faite à l’intelligence et à la culture… et qui regrettent pourtant de ne pas y trouver leurs chanteurs favoris ».
Les gens de Reims Oreille font aussi grand cas de Karina (du duo K) et de Karine Zarka en leur offrant quatre (katre ?) pages pour parler de leurs récents albums respectifs. A la question : « Dans vos chansons, la langue française n’est pas la seule : pourquoi d’autres langues ? », la première répond : « Ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas les paroles qu’on ne comprend pas la chanson. […] » ; et la seconde :
« Mes parents sont Juifs-Tunisiens […]. [Ils] parlent l’arabe et l’hébreu couramment. J’ai eu envie de mélanger mes origines en musique […]. » La chanson française ouverte, comme on l’aime, quoi. Accueillante au blues, par exemple : Philippe Dralet tient, dans les pages de Reims Oreille, un feuilleton, Le Clebs, où il réveille Robert et Tommy Johnson, bluesmen du Delta de leur état. Il en est au douzième épisode. Pour lire les précédents, il faut aller dans les archives du journal, remonter jusqu’au numéro 25 en appréciant, au passage, l’invariable éclectisme des sommaires : Francis Blanche, Iggy Pop, Francesca Solleville, Jean-Claude Pascal, Michèle Bernard, Jimi Hendrix…
Cliquez sur le lien ci-dessous. Si vous avez attendu jusqu’à mon point final pour le faire.
René Troin
« Ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas les paroles qu’on ne comprend pas la chanson. »
Je partage totalement cette approche, ça fait plus de 35 ans que j’écoute Leonard Cohen (mais pas que), je n’ai pas eu envie, ni besoin de traduire ses chansons, jusqu’à 2012, pour vérifier 2 ou 3 détails (mon anglais scolaire permet sans doute de saisir le sens général, mais quand c’est l’anglais des néo french pop chanteurs, ça me traverse sans laisser de trace). Quand on entend Billie Holiday chanter Strange Fruits, pas besoin de traduction pour être pris au cœur et au corps…
Billie Holiday, Leonard Cohen, ce sont des voix extraordinaires, et comprendre ou non la langue de leurs chansons n’a, c’est vrai, pas grande importance. Youn Sun Nah qui chante en coréen me ravit, Fritz Wunderlich, en allemand dans Les amours du poète, aussi. Cependant peut-on en faire une généralité ? Dans le cas de voix nettement plus ordinaires, plus communes, je crois qu’il vaut mieux connaître la langue pour avoir une chance de « comprendre » la chanson et éventuellement lui trouver un charme. Pour faire passer quelque chose sans l’aide du sens des mots, il faut vraiment être très fort et avoir en soi une musicalité exceptionnelle.
Pierre Delorme