Sur mon Teppaz, j’ai écouté Hélène par Gérard Barray. Oui le même qui bondissait, l’épée au point, sus au méchant sur l’écran blanc du cinéma de notre enfance, les dimanches et les jeudis, en matinée. Pardaillan, c’était lui ; et Scaramouche ; et D’Artagnan (dans la version de 1961, réalisée par Bernard Borderie). Dans un autre costume, il a aussi campé, par deux fois, un commissaire San Antonio très convaincant. On n’ira pas plus loin dans une filmographie qui court jusqu’aux années 2000 (sans parler des rôles au théâtre et à la télévision) pour parler du chanteur. Explorer une parenthèse refermée aussitôt qu’ouverte. En effet, si l’on en croit la biographie chaleureuse et bien informée que Donatienne Roby lui
a consacrée sur le site Les Gens du cinéma, Gérard Barray n’a gravé qu’un unique 45-tours, sans doute en 1959.
A moins d’avoir accès aux archives des maisons de disques, il n’est pas toujours facile de dater les enregistrements de cette époque. En l’espèce, on peut avancer une date en rapprochant le numéro de série (450.883) de celui du 45-tours de Nicole Louvier, intitulé Noëls (450.894), dont plusieurs sources concordantes indiquent qu’il est paru en 1959 – sous la même étiquette (Decca).
Un an avant Gérard Barray, Nicole Louvier avait déjà enregistré Hélène. La même Hélène. La précision est indispensable : beaucoup de chansons s’appellent Hélène (1). Avec des vers comme « Je cueillais en chantant / Des brassées de lilas / Et bénissais je ne sais quoi / Je ne sais qui de ta présence / Nous y filions des jours brûlés sans conséquence », Nicole Louvier s’inscrit dans une veine poétique qui lui vaudra d’enregistrer un 45-tours dans la collection « Poésie et Chanson », chez Reflets SM, où elle figure aux côtés de Serge Reggiani disant Marc Alyn ou de
Marie-Claire Pichaud chantant Pierre Seghers. Elle s’accompagne à la guitare, l’instrument favori de « ces chanteurs que l’on dit poètes » (2). Pour sa version d’Hélène, elle reçoit le renfort d’Henri Crolla. Gérard Barray, lui, est accompagné par Jacques Loussier et son orchestre. On n’était pas là mais on devine combien ce fan de jazz en général et de Fats Waller en particulier a dû apprécier leur présence en studio. Les amateurs du genre noteront le break mené par le vibraphone après le deuxième couplet. Et les amateurs de chansons regretteront que Gérard Barray n’ait pas persévéré. Interprète à la voix chaude, doué d’une diction parfaite de premier prix du Cours Simon, il aurait pu, comme Yves Montand, être comédien et chanteur. Suivre le fil d’une autre carrière. Au lieu du seul fil de l’épée.
René Troin
(1) S’en tenant aux deux extrémités du spectre de la chanson, on citera deux chanteurs d’Hélène : Gilles Elbaz et Roch Voisine.
(2) Clin d’œil au titre de l’essai de Christian Hermelin, paru en 1970 à L’Ecole des loisirs.
Gérard Barray, Hélène (paroles et musique : Nicole Louvier), 1959.
Le portrait de Gérard Barray par Donatienne Roby, suivi de ses filmographie et TV-graphie établies par Jean-Pascal Constantin :