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 « La durée éternelle n’est pas plus promise aux œuvres qu’aux hommes », fait dire Marcel Proust au narrateur du Temps retrouvé. Remplaçons « œuvres » par « chansons » et rappelons-nous Jacques Brel qui considérait que le succès d’un artiste est l’affaire d’une seule génération, celle qui le suit et apprécie ses chansons. La génération suivante passe à autre chose. Bien sûr, dans son cas, il se trompait puisque nous le connaissons et l’apprécions encore. Son souvenir est évoqué souvent dans les émissions de la radio ou de la télévision* et ses chansons trouvent régulièrement de nouveaux interprètes. Cependant, de génération en génération, un nombre considérable d’artistes tombent dans l’oubli et leurs chansons avec eux. Si quelques grands auteurs emblématiques semblent pouvoir postuler sérieusement à la postérité (Trenet, Brassens, Ferré, par exemple), nul ne peut être certain de la durée de cette « postérité »… Combien ça dure, la vie d’une chanson ?
Depuis leur diffusion à l’échelle industrielle, au début des années soixante, les chansons semblent disparaître aussi vite qu’elles apparaissent. Et bien peu s’accrochent à nos mémoires.
Les générations les plus jeunes connaissent encore un peu quelques titres du répertoire de Charles Trenet, Georges Brassens ou Boris Vian. Si ces chansons-là sont encore « connues », on peut bien sûr penser que cela est dû à leur charme, un charme qui leur permet de franchir les frontières générationnelles. Mais on peut aussi en chercher la raison dans le fait que les contemporains de leur création, ou au moins leurs enfants, sont encore de ce monde et perpétuent la mémoire de ces refrains et couplets qui furent marquants, et qu’on se plaît à dire « intemporels ».
Les « jeunes » de 2014 ignorent déjà les quelques « tubes » du début du XXe siècle qui nous furent transmis, à nous baby-boomers, par nos grands-parents (Sous les ponts de Paris, Quand Madelon, Le Dénicheur etc.) et l’on peut se demander si, une fois notre génération et la suivante disparues, les chansons de Georges Brassens ou de Charles Trenet ne disparaîtront pas aussi. Notons que dans le cas de ces deux chanteurs la création et la réception de leurs chansons par le public ont précédé le passage à l’échelle industrielle de la diffusion de la chanson, ce qui leur a donné le temps de s’installer et a aidé peut-être ainsi à leur longévité.
Mais que restera-t-il des chansons des années 70, par exemple ? Combien d’artistes, tels les Beatles ou Bob Dylan, qui peuvent nous sembler être des « monuments », disparaîtront également, le temps de quelques générations, avant de n’être plus que des noms pour les historiens de la musique populaire ?
Les chansons occupent une place très importante dans nos vies, à notre insu ou non. Certaines font partie de notre paysage intérieur, comme des montagnes. Mais comme les montagnes, leur hauteur diminue à mesure qu’on s’en éloigne, avant de disparaître complètement à l’horizon.

Pierre Delorme et René Troin

 

 

* Et encore… pour cette dernière, le souvenir de Jacques Brel a, semble-t-il, de plus en plus tendance à se réduire à Ne me quitte pas. D’aucuns ont beau considérer qu’il s’agit là de la plus grande chanson d’amour de tous les temps, c’est quand même insuffisant pour résumer tout Brel. Toujours à la télévision, au cours d’un jeu très populaire (Tout le monde veut prendre sa place), deux candidats âgés d’un peu plus de vingt ans n’ont pas identifié la voix de… Georges Brassens. Si le chiffre n’a bien sûr pas valeur de statistique (il faudrait suivre ce divertissement avec plus d’assiduité) et n’autorise aucune généralisation, il n’en incite pas moins à s’interroger tant Brassens compte, pour nous et jusqu’ici, comme une espèce de minimum commun en matière de chanson.

 

 

 

 

 

 

 

3 commentaires »

  1. Je crois que ce qui est important c’est ce que l’on essaye de dire et de faire passer, en gros dans quel sens ça va… Pour le reste, nous savons bien depuis Malraux que les civilisations sont mortelles et c’est sans doute Guy Béart qui avait raison dans son souhait de devenir un « anonyme du XXe siècle ». J’en profite pour saluer Pete Seeger, autre grand « passeur ».

  2. Réflexion intéressante et pertinente sur une question essentielle, du moins pour le domaine qui nous intéresse. Il me semble que cela amène deux autres questions. Tout d’abord, est-ce qu’il est, ou non, dommage que disparaissent, pêle-mêle, les Félix Leclerc, Claude Nougaro, Bernard Dimey, Mouloudji, Caussimon, et bientôt Ferrat, Moustaki ou Leprest, comme ont disparu — ou presque — les Béranger (Pierre-Jean), Couté ou Bruant ? Si ça n’est pas grave et que ce soit la marche inéluctable des choses, alors c’est très bien. Si au contraire on regrette ces disparitions, qui doit faire en sorte qu’elles n’arrivent pas ? De qui est-ce le rôle ? L’Etat ? Quelques passionnés bénévoles ?
    Autre remarque, cette idée d’une disparition programmée des œuvres, comme une nécessité historique, est appliquée à la chanson. Mais la littérature ? Mais la peinture ? Mais toutes les œuvres que l’on conserve, souvent à grands frais, et tant mieux, dans les musées ? Mais le patrimoine architectural ? Mais même la musique dite « classique », la « grande » ? Tout le monde est d’accord pour faire ce qu’il faut pour conserver cela, pour le transmettre. Pourquoi la chanson est-elle toujours, et y compris par ses plus fervents amoureux, si souvent considérée autrement ?

    • Peut-être faut-il se résoudre à l’idée que la chanson n’est pas un art comme les autres et a comme particularité de se renouveler en permanence, en se contentant d’un maigre passé et d’un avenir à très court terme ? C’est aussi un art populaire de consommation. Si l’on doit le comparer, je crois qu’il vaut mieux le comparer à l’art du cinéma (lui aussi un art industriel, et tous deux ont une histoire assez récente, à condition bien entendu de considérer la chanson seulement à partir du moment où l’on a su l’enregistrer et la diffuser massivement). Les films ont la Cinémathèque, mais tous les films n’y sont pas visibles, la programmation s’adresse à un public de « cinéphiles ». La chanson pourrait bien sûr avoir sa « chansonothèque » nationale, où seraient conservées les œuvres les plus marquantes, mais chaque amoureux de la chanson, véritable « chansonophile », peut très bien se débrouiller seul pour écouter des œuvres anciennes, même rares et internet joue en ce domaine un grand rôle. Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles la conservation des chansons ne semble pas une priorité dans les politiques culturelles de l’État. Quant à l’avenir des œuvres, qu’elles soient peintes, écrites, chantées ou autre, je m’en tiens à cette phrase de Picasso qui disait que ça ne pouvait être « qu’une hypothèse ».

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