Sur mon Teppaz, j’ai écouté Si je t’avais connu par Jacqueline Huet. Dans les années 60, les maisons de disques misaient volontiers sur les visages et les voix de la télévision et de la radio. Avec des bonheurs variés et des répertoires variables. Jacqueline Caurat a raconté « des histoires pour les petits », Maurice Biraud a joué les duettistes avec France Gall (La Petite). Anne-Marie Peysson a enregistré Un tube (qu’on n’a guère entendu)…
Jacqueline Huet, speakerine historique de la télévision française, de 1958 à 1975, était aussi comédienne. Les réalisateurs – dont Jean Renoir pour Le Déjeuner sur l’herbe – manquant d’imagination, ou soucieux de réduire le nombre de prises, lui ont souvent confié le rôle de… la présentatrice télé. Chanteuse, elle a eu plus de chance. Mouloudji comptant parmi ses amis l’a invitée à enregistrer plusieurs de ses chansons, dont Si je t’avais connu. Qui constitue un cas patent d’autoplagiat. « Si je t’avais connu, si je t’avais souri / Guidés par le hasard, heureux serions partis / Dans le soir plein de brume et de mélancolie / Vers l’aveugle qui joue de l’orgue de Barbarie / Sur une place grise pleine de ces pavés / Doux à mon âme grise je t’aurais invité / Et l’on aurait dansé sous une nuit profonde / Au grand bal étoilé jusqu’à la fin du monde. » Eh oui, pour les huit premiers vers de cette chanson, Mouloudji a largement emprunté à l’une de ses créations emblématiques de 1954 : Un jour tu verras. Où l’on entend : « Guidés par le hasard », « Sous un plein de brume et de mélancolie », « Un aveugle jouera / D´l´orgue de Barbarie », « Sur une place grise », « Où les pavés seront doux / A nos âmes grises ».
Comme quoi la chanson n’est jamais mieux servie que par elle-même. Et aussi, en l’occurrence, par Jacqueline Huet qui lui prête sa voix toute dans la nuance, sans effets appuyés. Une voix qui ne chante pas comme au théâtre. Michèle Arnaud, Christine Sèvres, Renée Claude ont une voix comme ça. Et, tout près de nous, Claire Elzière, laquelle a d’ailleurs récemment inscrit à son répertoire une autre chanson oubliée de Mouloudji : Toi tu souris (1). Celle-ci, figurant sur le même microsillon qu’Un jour tu verras et La Chanson de Tessa, avait bien peu de chance de passer à la postérité. De même que le titre repris ici par Jacqueline Huet. Mouloudji l’a aussi gravé en 1964. Pour reconstituer le texte de sa version masculine, il suffit d’accorder quelques participes passés au féminin. En commençant par le titre : Si je t’avais connue. Un genre d’exercice.
René Troin
(1) Paroles : Mouloudji – Musique : André Grassi.
Jacqueline Huet, Si je t’avais connu (paroles : Mouloudji – musique : Gaby Wagenheim), 1965.
Le Teppaz était-il contemporain de George Perec ou était-il trop éloigné de sa culture ? Là aussi le « Je me souviens » tendance Teppaz aurait été obligatoire…
Je ne sais pas, Marie-Françoise, si Georges Perec avait un Teppaz, et s’il aurait, un jour, brodé quelques textes autour. Personnellement, j’évite de prêter des pensées aux morts. En revanche, dans la culture que je me suis bricolée, le grand écrivain et le merveilleux petit engin vivent en bonne entente.