Dans un article de Sud-Ouest, daté du 13 janvier 2014, à la veille de l’inauguration de l’exposition « Nino Ferrer – Il était une fois l’homme »*, Stéphane C. Jonathan rapporte ce propos du chanteur disparu en 1998 : « J’ai écrit plus de 150 chansons… et les gens n’en ont retenu que trois. » On peut comprendre l’amertume, ou même la désabusion (pour user d’un néologisme de sa composition) de l’interprète de Blues en fin du monde, de Ma vie pour rien, de Chanson pour Nathalie, et d’autres titres que l’écoute exhaustive d’une récente intégrale nous a remis en mémoire. Et qui auraient mérité, tout autant que Le Téléfon, Le Sud et La Maison près de la fontaine, que nous les retenions, nous, les gens. Dont la mémoire commune est si sollicitée que bien peu de chansons – mais de livres aussi, et de films – franchissent le cap d’une génération. Alors, à bien y regarder, trois chansons, c’est déjà beaucoup. Tous les collègues de Nino Ferrer, qui caracolaient sur les scènes et les ondes dans les années 70, n’ont pas eu cette grâce. Yves Simon et Jean-Michel Caradec, pour n’en citer que deux, combien de leurs chansons avons-nous gardées ? Aucune. La mémoire longue ne retient que ce qui touche à l’universel. Difficile de trouver les mots (et la musique) qu’il faut pour ça – d’autant qu’on ne fait pas exprès. Même des plus grands on oublie beaucoup (on peut vivre debout en ignorant que cette parenthèse renferme le titre d’une chanson de Jacques Brel). Cependant, en la matière, rien n’est jamais acquis de la gloire ou de l’ombre. Qui aurait parié sur la folie Fréhel qui s’est emparée, voilà une dizaine d’années, d’une partie de la jeunesse de France après que Patrick Bruel eut repris La Java bleue ?
René Troin
* À la médiathèque José-Cabanis, à Toulouse, jusqu’au 16 février 2014.
Retenons quand-même que Nino Ferrer a passé une bonne partie de sa fin de vie dans le village de Montcuq célèbre (aussi) grâce au magnifique festival de chansons qui y est organisé tous les ans… et qui, fier de l’artiste impliqué dans son environnement, consacre (la ville, pas le festival) une exposition permanente de ses peintures, de quelques écrits et des pochettes de ses vinyles, petits ou grands…
Parait qu’il convient aujourd’hui de dire EP ou LP…
Retenons aussi qu’il reste de Caradec « Qu’elle est belle ma Bretagne… » et que ce commentaire est assez simpliste si nous tenons compte du fait que les artistes cités : Ferrer, Caradec, Brel ? n’en n’avaient peut-être rien à foutre de la célébrité !
Que beaucoup de gens, surtout en Bretagne, se souviennent de Ma Bretagne quand elle pleut (je pense que c’est à ce titre que vous faites allusion), je n’en doute pas. Mais ailleurs en France, et dans la francophonie, chez les moins de quarante ans ? La question n’est pas de savoir ce que nous sommes quelques-uns (en regard des populations française et francophone) à avoir retenu de tel ou tel artiste, mais pourquoi et comment certaines chansons restent et se transmettent, et d’autre pas. Le fait que les chanteurs que j’ai cités en aient eu ou pas « à foutre de la célébrité », comme vous dites, n’a pas grand-chose à voir avec le sujet non plus. En l’occurrence, ils ont tous été célèbres (et l’ont sans doute voulu, sinon ils n’auraient pas choisi ce métier), et le fait qu’ils y soient parvenus en demeurant fidèles à eux-mêmes est tout à leur honneur. Enfin, comme j’y fais allusion à la fin du billet, les chansons restent ou reviennent dans la mémoire commune grâce aux interprètes. Pour ce qui est de Jean-Michel Caradec, ils sont quelques-uns à s’employer à faire vivre ses chansons. Il y a quelques années Claude Besson, Louis Capart, Anne Vanderlove, Yvon Etienne et Jean-Luc Roudaut se sont réunis le temps d’un spectacle et d’un disque, toujours disponible chez Coop Breizh : Jean-Michel Caradec chanté par… Et, qui sait, peut-être Nolwenn Leroy, avec sa reprise de Ma Bretagne quand elle pleut, fera-t-elle pour Jean-Michel Caradec ce que Patrick Bruel a fait pour Fréhel…