C’était sûrement un samedi. C’est ce jour-là qu’on prenait le car pour aller faire les courses en ville, à Toulon. Place Camille-Ledeau, à quelques dizaines de pas du port, un chanteur-accordéoniste égrenait les succès de l’heure. Sa femme – ou sa fille ? Le souvenir est flou, j’avais six ou sept ans – le secondait aux refrains, qu’elle poussait tout en proposant aux badauds des feuillets illustrés reprenant les paroles et musiques du répertoire du jour. Et il s’en trouvait encore quelques-uns, en 1958 ou 1959, pour passer la monnaie en échange d’un ou deux « petits formats ». Bientôt, il n’y en aurait plus. Faute de besoin de faire provision de chansons pour les rapporter à la maison. La radio, et la télévision déjà, se chargeant des livraisons. Sans compter le microsillon qui parachevait le passage d’une transmission active des chansons à une écoute passive – sauf chez les peintres en bâtiment qui s’emploieront à divertir les passants jusqu’à la démocratisation du transistor à piles.
Dominique Jacquemin a consacré un article à ces « partitions de chansons populaires », qui entament « vers 1880 […] un âge d’or [qui] dure jusqu’en
1935 » (1). Et sa conclusion est sans pitié : « Si les maisons d’édition étaient six en 1811, on pouvait en compter deux mille dans les années 1930-1940, puis deux cents de 1940 à 1962. […] en 2000, on compte une vingtaine de maisons d’édition proposant des partitions… »
Comme les fiacres ont disparu, victimes du moteur à explosion, les « petits formats » ont cédé à la radio et à la télévision. Et de 1960 au début des années 80, ces deux médias ont diffusé la chanson dans toute sa variété. Même dans les « années yéyés ». Les idées reçues ne résistent pas à la lecture des TV-graphies de l’époque. Celle du dernier trimestre de 1965, par exemple (2).
Le 2 octobre, Jeunesse oblige proposait Lucky Blondo et Sophie Darel, mais aussi Guy Béart.
Le 14 novembre, sur le plateau de Discorama, Denise Glaser accueillait Nino Ferrer, Marie-José Neuville et Juliette Gréco. Et le 22 novembre, les téléspectateurs de Douches écossaises sautaient d’Alain Barrière à Gribouille ou de Béatrice Arnac à Jimmy Fontana. A la radio, on « matraquait », comme on disait, Sylvie Vartan (La Plus Belle pour aller danser) ou Les Surfs (Scandale dans la famille), mais aussi Leny Escudero (A Malypense) et Anne Vanderlove (La Ballade en novembre)…
« Palmarès des chansons », 28 octobre 1965. Les garçons de la rue chantent Parce que ça me donne du courage (paroles : Jean Nohain – musique : Mireille) : « […] Et le peintre en bâtiment / Quand il repeint l’appartement / Chante gaiement […] »
Doc. : Ina
René Troin
(1) Dominique Jacquemin, « Les partitions de chansons populaires : paroles et musique », Le Chineur n° 73 (novembre 2003), pp. 32-33.
(2) JukeBox Magazine n° 110 (novembre 1996), pp. 44-45 et 48-49.
(3) Mais la chanson n’est pas la seule concernée : le cinéma comme la littérature ne font plus l’objet d’émissions dignes de ce nom sur les deux principales chaînes du service public.
(4) TV Magazine – du dimanche 15 au samedi 21 décembre 2013, p. 8.
(5) On ne parle pas ici des radios associatives où des bénévoles passionnés s’emploient à faire vivre tous les patrimoines musicaux (chanson, reggae, hard-rock, rap, new wave…).
Des onze 33-tours et trois CD gravés par Paul Louka entre 1963 et 1997, plus rien n’est disponible, sauf quelques titres sur internet. Dont Cerise (Paroles : René Fallet. Musique : Paul Louka).
Super ! J’ai entendu Paul Louka chanter cette chanson Chez Georges, il y a fort longtemps. Je me souvenais de la chanson, mais plus de son interprète avec qui j’avais d’ailleurs bu un verre. Je crois que ce soir-là, j’y étais parce que Luc Romann chantait.
Evidemment « Chante, chante, beau merle » c’est trop facile de jouer à l’oiseau dénigrateur. Vous avez choisi une très bonne (chanson) qui cumule tout, paroles, interprétation : et zou !
Tant de mauvaise foi, un dimanche, jour du Seigneur… ça laisse rêveur. Mais enfin, pour la finesse du jeu de mots « oiseau dénigrateur », il vous sera beaucoup pardonné.
Je fais mon « mea culpa »…