Tel un monteur face à une montagne de pellicule (désormais virtuelle), Jean-Paul Liégeois a sauté dans le torrent de « mots d’amour et autres provocations » prononcés/proférées par Léo Ferré dans les journaux, à la radio, à la télévision ou dans des livres (1). Après un avant-propos où son style fait la pige au souffle du Maître (« Sa sincérité a été son seul viatique. Aucune triche, aucun détour. Les mots et les notes de Léo Ferré sont nés de sa chair, des gnons qu’elle a reçus, des plaisirs qu’elle lui a offerts […] »), il les a organisés en vingt-huit séquences classées dans un ordre alphabétique, contrarié sur la fin – « Adieu » n’est pas un mot des commencements, ni « Eternité » un terme du milieu. A part ça, « les choses étant bien faites » (2), comme dirait Caussimon, d’« Amour » à « Anarchie », il n’y a qu’une page blanche, « Paris » précède les « Poètes » et la « Solitude » vient après la « Société ».
Bien sûr, la lecture de recueil ne dispensera pas de celle d’une solide biographie ni de l’écoute des chansons. Mais elle peut avoir une fonction apéritive pour le néophyte. Quant au pratiquant de longue date, pour peu qu’il n’ait pas tout vu, tout lu, tout entendu, il n’est pas à l’abri de quelques découvertes sur le mode : « Tiens ! il a dit ça, Ferré ? » Sur Edith Piaf (« […] c’était fantastique cette voix ! Elle aurait chanté le bottin… Mais, à la fin, elle l’a un peu chanté… c’est ça qui est embêtant »). Sur un objet tyrannique : « Le téléphone, il faut le casser. Cassez le téléphone ! » (et encore, il n’a pas connu le temps du portable…). Sur sa famille : « Mon père s’appelle Joseph, ma mère s’appelle Marie. La ressemblance s’arrête là ! » Pas sûr… pour peu qu’on se souvienne avoir lu, quelques dizaines de pages plus haut, « Aimer, c’est donner », qui sent bon sa parole d’Evangile (3)… Mais trêve de provocations : son format (11 x 18 cm) s’y prêtant, il ne faut pas hésiter à glisser ce petit livre dans une poche. Pour l’emporter chez le dentiste, à la gare, au cinéma. Tous ces endroits où l’on attend. Et l’ouvrir pour passer le temps.
René Troin
(1) Près de 160 sources répertoriées à la fin de l’ouvrage, où l’on trouve aussi la liste des enregistrements de Léo Ferré et de ses interprètes, disponibles en CD.
(2) Paris jadis (paroles : Jean-Roger Caussimon – musique : Philippe Sarde). Chanson du film de Bertrand Tavernier, Des enfants gâtés.
(3) Cf. Jean 15,13.
Léo Ferré, Le Désordre, c’est l’ordre moins le pouvoir – Mots d’amour et autres provocations, édition établie et présentée par Jean-Paul Liégeois, Le Cherche Midi, coll. « Chants libres », 2013, 244 p., 12 €.
Merci à René Troin de nous donner l’envie d’en savoir plus sur Léo…..