Un chanteur, « confidentiel » pour reprendre son expression, vante la dernière parution de la revue Hexagone (où il figure) et la remercie de mettre en avant les artistes « atypiques », dits « en dehors des clous », « plus vulgairement de niche », alors qu’ils sont, dit-il, « tout sauf domestiqués, dressés, tenus en laisse ». On pense bien sûr à la fable de Jean de La Fontaine, Le loup et le chien, et à la fière liberté du loup qui préfère crever de faim plutôt que d’être attaché. C’est beau !
Les amateurs de CFQ aiment beaucoup les fables et ils adorent voir les artistes qu’ils aiment comme des êtres qui préfèrent être libres et « pauvres » (tout est relatif) plutôt que céder aux sirènes du showbiz qui ne manquerait pas de faire leur fortune. Des loups solitaires en somme ! Les artistes eux-mêmes aiment à se voir de cette manière.
Pourquoi pas ? Il n’est pas difficile d’y croire, il suffit souvent d’omettre ou de passer un peu vite sur des débuts de carrière où ils ont frayé (ou tenté de le faire) avec l’industrie du divertissement pour la quitter ensuite. Tout le problème est de savoir la véritable raison de la séparation… Ont-ils refusé d’être « attachés » ou ont-ils été « détachés » et abandonnés par leur maître ? Est-ce que ce sont eux qui sont partis ou le showbiz qui les a peu à peu laissés tomber parce que le succès populaire et les bénéfices escomptés n’étaient pas au rendez-vous ? Les réponses peuvent être alambiquées, nuancées, biaisées, peu claires, bien sûr, mais la vie est dure et on comprend bien qu’on essaie de raconter les choses à son avantage, d’une façon positive, c’est normal. Il est plus facile de se voir en loup solitaire plutôt qu’en chien errant condamné aux chemins de traverse après avoir été abandonné sur une aire d’autoroute.
N’y a-t-il pas, par ailleurs, quand on est artiste de la marge, une volonté un peu puérile d’apparaître dans le rôle de l’incorruptible pur et dur en laissant entendre qu’on aurait, en se lançant dans le métier, délibérément choisi de se maintenir à vie dans la marginalité ? De ne jamais céder aux sirènes du showbiz et du vedettariat ? De ne pas manger de ce pain-là ?
Mais ce qui peut paraître plus surprenant dans ce genre d’assertion concernant des artistes « libres » est qu’elle laisse supposer que ceux qui font partie de l’industrie du divertissement sont à l’inverse « domestiqués, dressés, tenus en laisse ».
Gauvain Sers et Pomme, par exemple, qui recueillent aujourd’hui les suffrages des amateurs de CFQ et du showbiz sont-ils « tenus en laisse, dressés » ?
La prochaine fois que nous verrons une photo d’un de ces deux artistes, nous regarderons s’il a le cou un peu pelé avec les marques d’un collier pour enfin savoir si oui ou non tout cela est une fable.
Pierre et Floréal