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Après avoir consacré nos deux dernières rubriques pour la revue « Hexagone » à la critique chanson, nous avons souhaité leur donner une suite ici même en demandant à plusieurs artistes de nous livrer leurs points de vue.
Nous pensons en effet que la critique chanson se distingue des autres critiques, notamment celles qui concernent le cinéma et la littérature, par son manque de nuances et sa propension à la flatterie. Aussi avons-nous demandé à ces artistes de répondre à ces questions :
« Qu’attendez-vous de la critique chanson ? Que devrait-elle être, selon vous, non en ce qui vous concerne personnellement mais d’une manière générale ? L’état actuel de la critique chanson vous convient-il ? »
Pour clore cette série, nous publions deux commentaires de Gilbert Laffaille. Le premier a été rédigé en réaction à notre article « Consensus* ? », et le second après la publication ici même de la contribution de Frédéric Bobin.

Pierre et Floréal

Je suis d’accord avec ce texte* et déplore comme vous la disparition de la critique. Je ne parle évidemment pas de la presse dominante où toute critique a disparu au profit, soit du papier promotionnel reprenant les termes du dossier de presse fourni, soit de l’article teigneux sentant le règlement de comptes pour quelque obscure question de rivalité ou de non-respect des règles du show-business. Dans le milieu chanson il n’y a pas plus de critique, mais pour d’autres raisons. Critiquer, cela suppose connaître le sujet et s’exprimer au nom d’un point de vue, d’une esthétique. Cela n’a rien à voir avec le « j’aime, j’aime pas ». Il faut des arguments, une réflexion, des comparaisons, une remise dans le contexte d’une époque, etc. Il faut ensuite différencier la critique d’une œuvre, d’un artiste, de sa carrière et l’analyse du succès. Il est aujourd’hui assez consternant de se dire que Maurice Chevalier a été une star mondiale. On ne peut comprendre qu’en analysant son époque et en essayant de déceler ce qui était neuf et qui a pu plaire en son temps.
Dans le milieu de la chanson que vous défendez, c’est autre chose: cette chanson-là a le plus grand mal pour exister. Les lieux disparaissent, les médias à large audience ne s’y intéressent plus depuis longtemps, tout comme les maisons de disques et les différents acteurs de ce secteur. Cela a toujours été le cas mais s’est outrageusement amplifié depuis vingt ans : on ne s’intéresse qu’à ce qui peut marcher commercialement. Les créations hors-cadre n’ont aucune chance. C’est pourtant forcément de cette marge que naîtra la future grande vedette. Aujourd’hui l’industrie se contente de reproduire des clones dont la formule a fait ses preuves. Petites ambitions à court terme. Dans ce milieu chanson donc, qui tente d’exister, on se serre les coudes, on se rend service, on se renvoie la politesse, bref on s’entraide. On est pris par la nécessité d’arriver à gagner sa vie, donc, comme partout, comme dans toute entreprise, on se tait sur le lieu de travail. On préfère avoir la réputation d’un bon camarade plutôt que d’un teigneux, d’un jaloux ou d’un pisse-vinaigre.
Mais, à force, on ne dit plus rien. Et une expression artistique qui n’inspire plus de bataille d’Hernani n’est pas bien portante. J’aimerais lire et entendre des discussions concernant la rime (ou non), la structure, la mélodie (ou non), la chanson chantée (ou non), les propos, l’idéologie véhiculée (ou non), l’inventivité, la créativité, la nouveauté par rapport à ce qui a été déjà fait auparavant et enfin, et peut-être surtout, la spécificité française comparée à la chanson des autres pays. Je rêve d’un « Masque et la Plume Chanson » avec de belles empoignades, des engueulades, des rires, des prises de position, de la mauvaise foi, des larmes, bref de la vie ! La critique, c’est la vie, c’est l’apprentissage. Elle va de pair avec l’éloge. Notre époque se complaît dans le consensus mou, politiquement correct, animé de temps en temps par des polémiques artificielles. La critique, elle, touche au cœur et pose les questions importantes. Donc les questions qui fâchent.

* http://www.crapaudsetrossignols.fr/2022/11/17/consensus/

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À lire ce dernier article dû à Frédéric Bobin, je me dis que ce qui manque le plus finalement – et bien qu’ayant écrit ici même le contraire – ce n’est pas la critique. Ce serait plutôt les producteurs, directeurs artistiques et diffuseurs de talent comme l’étaient Boris Vian, Jacques Canetti, Eddie Barclay et quelques autres. Il manque aussi le temps. Le temps pour apprivoiser le public et mûrir l’artiste. Notre époque n’a plus le temps. Faute de ces éléments constitutifs, c’est le règne de la débrouille et le combat du pot de terre contre le pot de fer. Impossible de lutter contre des chanteurs produits, formatés, promus, diffusés, distribués, matraqués. Même s’ils sont très mauvais, qu’ils chantent faux (comme on l’a entendu récemment à France Inter pour Aya Nakamura), que les textes sont nuls et la musique aussi : ces artistes se retrouveront dans les shows TV et recevront les prix de l’industrie musicale qui récompense les meilleures ventes. Il faut une singulière énergie pour lutter toute sa vie contre un système qui ne veut pas vous accueillir car ses objectifs sont autres. Les artistes, pour la quasi-totalité d’entre eux, veulent créer quelque chose de beau, d’intéressant, de nouveau, exprimer des sentiments, des idées. L’industrie musicale française ne vous accueillera que si l’on flaire en vous la bonne affaire. Quoi que vous fassiez. Que ce soit absolument nul ou extraordinaire. L’époque des Boris Vian est révolue car à l’époque le marché du disque n’était pas encore l’industrie qu’il est devenu. C’était plus simple, plus artisanal, plus humain. Avec le système actuel tous ceux qui ne sont pas des stars se retrouvent marginalisés. Alors effectivement : entre marginaux on s’entraide et la critique ne peut plus s’exercer que si elle est sollicitée par l’artiste lui-même.

Gilbert Laffaille

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