Poser des questions et botter le train au consensus, tel était le programme de nos chroniques mookeuses. Encore faut-il trouver un train de consensus à botter !
Un consensus même mou ferait notre affaire. Mais, hélas, même le méchant showbiz ne fait plus consensus dans la détestation ! Ses contours sont flous et quand il élit un jeunot jadis passé par les circuits de la CFQ (chanson française de qualité, faut-il le rappeler ?), il semble être devenu carrément fréquentable !
Les amateurs compulsifs de chanson française de qualité (CFQ donc) se régalent de nouveautés et de découvertes permanentes oubliées illico, ils n’ont même plus le temps de vomir les télé et radio qui ne font pas leur boulot. Ils en ont pris leur parti et pourvu que « ça chante », tout va bien.
Ainsi vogue la galère dans laquelle se lancent les jeunots plein d’ardeur et de rêves, tandis que les vieilles barbes épargnées par le succès ou qui ont frôlé la gloire vivotent dans les marges et hoquettent de petits lieux en appartements qui chantent, vaille que vaille ! Les « entre deux âges » hésitent encore entre les rêves et la résignation… Mais tout le monde semble toujours content, le public chenu et ses artistes, alors que demande le peuple ?
Il est peut-être là, le consensus dans lequel il faut shooter ? Un consensus qui ressemblerait à une sorte d’absence d’esprit critique, où tout est chouette pourvu que ça chante…
On a parfois l’impression que tout se vaut, que la chanson naît chaque matin comme la rosée sur les feuilles. Chaque chanteur est tout neuf, comme si la chanson n’avait pas de passé (à part quelques statues lointaines dans la brume, notamment celle de Barbara à laquelle se réfèrent les chanteuses de CFQ qui débarquent). Les cinéphiles* ont quelques grandes références auxquelles ils reviennent souvent, comme les cinéastes eux-mêmes quand ils parlent de leur travail. L’art cinématographique a un passé, un socle. La chanson est moins bien lotie, elle est flottante, toujours fraîche du jour, pratiquée par des gens très jeunes qui semblent (vouloir) ignorer le passé, comme font les ados qui croient tout réinventer, même l’amour !
Et si, de ce fait, la chanson tournait en rond depuis des années sans rien proposer de nouveau ? Et si la méconnaissance de la tradition ou des « classiques » empêchait de les dépasser ? Et si l’absence d’esprit critique des amateurs de CFQ et de ceux qui écrivent sur la chanson était aussi un obstacle au progrès de ces jeunes artistes ? Et si finalement ces amateurs de CFQ ne faisaient que courir après leur jeunesse enfuie qu’ils cherchent à travers ces jeunes gens qui chantent ?
Voilà des questions auxquelles on évite soigneusement de répondre, persuadé qu’il faut ne parler que de ce qui nous plaît et ne pas « dézinguer » les artistes. Quand on aime, c’est sans réserve, sans nuance. Et puis les goûts et les couleurs… à quoi bon discuter? Quant à chercher sa jeunesse, vous n’y pensez pas, « On s’ra jamais vieux »…
C’est un genre de consensus qui règne sur le petit monde de la CFQ, et il serait grand temps de lui botter le train !*
Pierre et Floréal
* On peut cependant rencontrer des « cinéphiles » dont l’activité se limite à ingurgiter le plus de films possibles, surtout en festival, sans véritable esprit critique non plus. Ils ressemblent à certains amateurs de CFQ, dont Marcel Proust, par anticipation, parle très bien dans Le temps retrouvé : « […] comme ils n’assimilent pas ce qui dans l’art est vraiment nourricier , ils ont tout le temps besoin de joies artistiques, en proie à une boulimie qui ne les rassasie jamais. » On ne saurait mieux dire.
Salut, un des problèmes de « la critique » c’est son côté parfois malsain, qui est plus une mauvaise humeur qu’une réflexion argumentée … Est-ce pertinent comme l’a fait un certain « journaliste » de cibler sur « le 95 B » du décolleté d’une chanteuse ? Quand la critique se dévoie dans des humeurs aigres, ou des fulminations rageuses, ce n’est pas de la critique… Aznavour, Brel, Bécaud, ont eu leur lot de critiques odieuses de la part de folliculaires plus ou moins célèbres. Sans oublier ceux qui sont en mission commandée pour « critiquer » selon la ligne du média, et toujours dans le même sens … Détruire …
La « réflexion argumentée » n’est pas vraiment évidente non plus dans les articles de complaisance, de promotion ! Tout comme dans les commentaires positifs d’après spectacle ou écoute de CD des amateurs de CFQ, je suis étonné de n’y lire jamais aucune réserve ou réflexion critique. En fait, je crois qu’une « critique chanson » digne de ce nom n’existe pas.
Elle n’existe pas parce que ce serait une activité professionnelle, avec un devoir d’assister à des spectacles auxquels on est invité, un « journaliste » ne va voir que des spectacles « gratuits » ça limite donc son champ d’action et ses initiatives..
Très bon article. Pertinent. Aux propos que je partage pleinement. Vous allez rire : je n’ai aucune critique négative à vous soumettre.
Gilbert Laffaille nous donne son point de vue
Je suis d’accord avec ce texte et déplore comme vous la disparition de la critique. Je ne parle évidemment pas de la presse dominante où toute critique a disparu au profit, soit du papier promotionnel reprenant les termes du dossier de presse fourni, soit de l’article teigneux sentant le règlement de compte pour quelque obscure question de rivalité ou de non-respect des règles du show-business. Dans le milieu chanson il n’y a pas plus de critique, mais pour d’autres raisons. Critiquer, cela suppose connaître le sujet et s’exprimer au nom d’un point de vue, d’une esthétique. Cela n’a rien à voir avec le « j’aime, j’aime pas ». Il faut des arguments, une réflexion, des comparaisons, une remise dans le contexte d’une époque, etc. Il faut ensuite différencier la critique d’une œuvre, d’un artiste, de sa carrière et l’analyse du succès. Il est aujourd’hui assez consternant de se dire que Maurice Chevalier a été une star mondiale. On ne peut comprendre qu’en analysant son époque et en essayant de déceler ce qui était neuf et qui a pu plaire en son temps.
Dans le milieu de la chanson que vous défendez, c’est autre chose: cette chanson-là a le plus grand mal pour exister. Les lieux disparaissent, les médias à large audience ne s’y intéressent plus depuis longtemps, tout comme les maisons de disques et les différents acteurs de ce secteur. Cela a toujours été le cas mais s’est outrageusement amplifié depuis vingt ans: on ne s’intéresse qu’à ce qui peut marcher commercialement. Les créations hors-cadre n’ont aucune chance. C’est pourtant forcément de cette marge que naîtra la future grande vedette. Aujourd’hui l’industrie se contente de reproduire des clones dont la formule a fait ses preuves. Petites ambitions à court terme. Dans ce milieu chanson donc, qui tente d’exister, on se serre les coudes, on se rend service, on se renvoie la politesse, bref on s’entraide. On est pris par la nécessité d’arriver à gagner sa vie, donc, comme partout, comme dans toute entreprise, on se tait sur le lieu de travail. On préfère avoir la réputation d’un bon camarade plutôt que d’un teigneux, d’un jaloux ou d’un pisse-vinaigre.
Mais, à force, on ne dit plus rien. Et une expression artistique qui n’inspire plus de bataille d’Hernani n’est pas bien portante. J’aimerais lire et entendre des discussions concernant la rime (ou non), la structure, la mélodie (ou non), la chanson chantée (ou non), les propos, l’idéologie véhiculée (ou non), l’inventivité, la créativité, la nouveauté par rapport à ce qui a été déjà fait auparavant et enfin et peut-être surtout, la spécificité française comparée à la chanson des autres pays. Je rêve d’un Masque et la Plume Chanson avec de belles empoignades, des engueulades, des rires, des prises de position, de la mauvaise foi, des larmes, bref de la vie! La critique, c’est la vie, c’est l’apprentissage. Elle va de pair avec l’éloge. Notre époque se complaît dans le consensus mou, politiquement correct, animé de temps en temps par des polémiques artificielles. La critique, elle, touche au cœur et pose les questions importantes. Donc les questions qui fâchent. (Gilbert Laffaille)
Partagé totalement l’analyse de Gilbert Lafaille.En effet Chevalier fût en son temps une énorme vedette. Faudrait-il ajouter que Brassens adorait Tino…
La critique en quête d’objectivité à les ailes qui pèsent