Je suis un « professeur d’enseignement artistique » à la retraite. Longtemps, j’ai exercé dans un conservatoire dont un département est consacré à la chanson. Aujourd’hui, avec quelques années de recul, je regarde de plus ou moins loin les carrières (dont les fortunes sont diverses) des artistes qui sont passés par notre département au conservatoire. Je vois leurs noms à intervalles réguliers sur les réseaux sociaux ou encore dans les programmations de divers lieux culturels de la région ou d’ailleurs. Je ne suis pas surpris de voir leurs noms y figurer, mais en revanche je suis étonné de ne pas y trouver ceux d’élèves qui semblaient pourtant présenter des dons exceptionnels, qu’il s’agisse de la scène, du chant, ou encore l’écriture et la composition de chansons, et dont on n’entend plus parler.
On peut bien entendu discuter la subjectivité de mon point de vue quant à ces « dons exceptionnels », mais dans bien des cas ma « subjectivité » recoupait celles de mes collègues et d’observateurs occasionnels.
Ceux qui continuent et font le métier sont parfois ceux qui m’avaient paru avoir au départ moins de facilités, être encore un peu dans le brouillard où ils progressaient à tâtons. Sans mettre en doute leur excellence actuelle, je me demande si leur différence avec ces élèves très doués, aujourd’hui disparus des radars, ne résidait pas simplement dans l’intensité du désir de faire ce métier à tout prix.
J’ai vu passer dans mes cours quelques auteurs-compositeurs et interprètes de leurs chansons qui scotchèrent l’auditoire en concert ou en audition, j’ai vu quelques « ouragans » débouler sur scène et « décoiffer » des jurys d’examen qui en restèrent « baba », autant d’artistes dont je ne doutais pas de la réussite rapide. Pourtant, ils disparurent, sans doute pour consacrer leur temps à d’autres choses. De toute façon, ils n’étaient apparemment pas armés ou suffisamment intéressés pour aller nouer les relations indispensables qu’il faut pour entrer dans ce métier où, contrairement à l’idée reçue et entretenue par quelques célébrités, les carrières ne sont pas le fruit d’un « coup de baguette magique » ou d’un hasard fantastique. Ils n’avaient pas suffisamment envie de provoquer ce « hasard »* et surtout de s’accrocher.
Mais on peut aussi penser que la chanson en général est une affaire de jeunesse et que l’élan initial et l’enthousiasme disparaissent comme les années passent et que pour certains elles passent plus vite que pour d’autres. La jeunesse peut avoir parfois du génie, mais un génie à la vie brève. C’est le syndrome rimbaldien ! Mais « N’est pas Rimbaud qui veut pardi ! » chantait Mouloudji dans sa très belle chanson Faut vivre.
Évidemment, si d’anciens élèves lisent ces lignes, ils doivent se demander dans quelle catégorie je les range ! Cela n’a guère d’importance, mon jugement, tout « prof » que j’étais, est loin d’être sûr et qu’ils sachent que je suis, comme la plupart d’entre nous, pas très doué et assez laborieux, mais que malgré mes septante et un ans je n’ai pas encore usé complètement mon goût de jeune homme pour l’écriture de chansons et que je continue à en écrire (des plus vraiment vertes et des trop mûres), c’est dire qu’à n’importe quel âge on a la vie devant soi pour écrire des chansons et y prendre plaisir. Si on n’est pas Rimbaud, tant pis !
Pierre Delorme
*http://www.crapaudsetrossignols.fr/2015/04/15/le-hasard-et-la-timidite/
« Le talent c’est l’envie » disait Brel … C’est peut-être exagéré, mais c’est un peu ce que tu dis.
Disons que j’en ai vu qui avaient un très grand talent mais assez peu d’envie, j’en ai même vu certains avoir beaucoup d’envie et pas du tout de talent! Dans tous les cas, ils n’ont pas fait carrière !