Durant les années soixante (période de la préhistoire où les réseaux sociaux n’existaient pas) de nouveaux chanteurs ou nouveaux groupes apparaissaient tous les jours, comme s’il en pleuvait*. La force de frappe du showbiz et les moyens de diffusion étaient moindres, mais les disques se vendaient à la pelle. A l’époque, la technique, disait-on, était de lancer cinquante jeunots sur le marché (des teenagers) dans l’espoir d’en voir un ou deux devenir des « vedettes » qui vendent beaucoup.
Il semblerait qu’aujourd’hui les CD se vendent moins bien ou même plus du tout (sauf les CD de rap, va savoir pourquoi…), cependant, il pleut à nouveau des chanteurs et des chanteuses en abondance sur le marché du divertissement. Chaque semaine, nous avons droit aux émerveillements de Télérama ou France Inter qui découvrent une nouvelle sensation de la chanson ! La valse des nouveaux noms est vertigineuse. Dans les années soixante, la formule « ils font un petit 45-tours et s’en vont » faisait florès, quelle nouvelle expression pour aujourd’hui ? « Font un petit buzz et puis s’en vont » ? « Font cent mille vues et puis plus rien » ?
On peut ajouter qu’à la différence des années soixante où le showbiz propulsait rapidement sur le devant de la scène des jeunes pousses qu’il jetait tout aussi rapidement, comme des kleenex, il ne se trouvait pas de publications « culturelles » pour tenter de nous convaincre qu’on était à chaque fois en face du nouveau Rimbaud ou Baudelaire, alors qu’à lire les chroniques délirantes d’un Télérama (encore lui!) notamment, on peut considérer qu’on nous prend vraiment pour des cons.
De plus, dans cette abondance de saltimbanques de notre jeunesse se glissaient des rigolos ou des « engagés » parfois médiocres, certes, mais qui avaient au moins un peu d’humour pour les uns et le mérite de s’éloigner de leur nombril pour les autres. Question d’époque sans doute, mais les jeunes pousses d’aujourd’hui ont un champ visuel qui nous semble tellement restreint qu’il finit par les rendre sinistres.
Les majors continuent donc à produire des jeunes pousses, mais dans quel but, puisque les CD sont déjà obsolètes et ne se vendent plus ? Une jeune pousse qui « marche » doit bien rapporter un bénéfice, sinon pourquoi tant d’efforts de promotion ? Espèrent-ils en faire des stars qui deviendront un jour une marque, un produit d’appel, comme sont devenus les noms « Gainsbourg », « Chedid » ou « Dutronc » ?
Il pleut surtout des jeunes femmes à voix voilée et paresseuse ces derniers temps. Ça va si vite qu’on en oublie les noms, certaines essayent avec un surnom, puis reviennent avec leur vrai nom parce que ça n’a pas marché et comme ça ne marche toujours pas, elles disparaissent.
Que des jeunes gens tentent leur chance est bien normal, ils sont plus ou moins malins, plus ou moins margoulins, là n’est pas la question. En revanche, les emballements médiatiques qui ne sont que des enthousiasmes sur commande, des fabrications planifiées, contribuent à nous abrutir toujours un peu plus, c’est désespérant.
On peut aussi se demander si ces nouvelles pousses envoyées au casse-pipe et illico flinguées ne servent pas uniquement à nourrir le terreau sur lequel prospèrent les grandes « marques » comme celles évoquée plus haut. Grandes marques auxquelles s’ajouteront lentement, comme au goutte à goutte, quelques happy few , patients et souples, qui après allégeance au « métier » auront décroché le pompon du manège et fonderont peut-être une nouvelle dynastie.
Pierre et Floréal
* Voir sur le site la rubrique Teppaz et SLC de notre ami René Troin.
Très bien mes chers amis. Je souscris tout à fait. Rien de nouveau sous le soleil du marché de la chanson médiatique. Chacun y trouve son compte. Les chanteurs une saison de gloire en tant qu’espoir, les labels leur autofinancement en attendant la perle rare plus déterminée que les autres, les radios et les télés qui font de l’audience pour leurs annonceurs, les journaux qui se la jouent spécialistes sur deux pages pour vendre du papier pour ratisser djeun en se drapant dans le bien fondé inattaquable de la défense pour une culture populaire de masse, etc. Non, rien de nouveau sous le soleil artificiel de la « société du spectacle ». Je ne changerai donc pas Debord.
Voici quelques temps j’ai parcouru d’un derrière distrait les pages d’un journal qui nous entretenait des préférences sexuelles de quelques filles chantantes. Des donzelles qui préfèrent les dames ne me semblait pas être un sujet d’intérêt majeur pour l’histoire de la musicologie. Aussi allai-je vite jeter une oreille sur les productions de ces demoiselles.
Eh bien j’en ai presque regretté la vacuité de l’article qui venait de m’apprendre l’existence de ces greluches… J’ai écouté — brièvement, faut quand même pas exagérer — chacune avant de vite passer à la suivante. Qui se révélait tout aussi catastrodésastreuse.
Ah que j’ai sucé du navet entre textes au niveau d’Eddy de Pretto — ça veut dire en dessous du caniveau pour ceux qui ont le bonheur de ne pas connaître — mélodies approximatives — on va rester sobre — et filets de voix qui feraient passer Jane Birkin pour une cantatrice dotée d’un coffre du tonnerre de l’Olympe !
Même si je ne suis pas plus amateur que ça, je comprends le succès de Julien Clerc, de Jean-Jacques Goldman comme d’autres. Mais là ! Non ! Comment ces nénettes peuvent-elles vendre la moindre minute en téléchargement ? Le public sombrant dans l’inconscience éthylique, mais encore apte à dégainer sa carte bancaire, est-il si dense ?
Comme conclut Bruno Ruiz, je ne changerai pas Debord. Effectivement voilà une preuve de plus de la misère de cette société du spectacle. Une note d’espoir toutefois dans l’interrogation pertinente et judicieuse de votre article au sujet du rap : … même plus du tout (sauf les CD de rap, va savoir pourquoi…), cependant, …
Et si l’avenir était justement dans les marges, dans ces interstices musicaux où se déploie la vie, l’espor : peut-être plus authentique ? spontanée ? non mise en scène par des promoteurs véreux et minables car avides de fric et de profits ?
Le rap est ce genre de musique contemporain qui révèle et recèle l’avenir car il contient en lui la rage et la misère sociale de notre époque, ce concentré de toutes les Crises subies qui transformera un jour le monde un peu comme le fut le jazz à ses débuts. Ce jazz qui participa à l’émancipation des noirs aux Etats Unis, malgré le prix que tout cela a coûté (l’accouchement se fait quasiment toujours dans la douleur)