La mort de Graeme Allwright a été pour moi l’occasion de découvrir qu’il avait été apprécié par de nombreux amateurs de « chanson à texte » française, du moins ceux de ma génération… Le caractère populaire des chansons de Graeme avait pourtant fait de lui au fil du temps une sorte de chanteur boy-scout, gros fournisseur de tubes pour colonies de vacances, l’auteur, ou l’adaptateur, d’un répertoire assez éloigné du style et des préoccupations lyriques des chanteurs poètes de la marge du métier.
Bien sûr, on a pu trouver dans ce succès un peu de malentendu. Dans les soirées de «colos » et dans les cours de guitare de MJC, nombreux sont ceux qui chantaient Sacrée bouteille comme s’il s’agissait d’une chanson de joyeux buveur et non pas une chanson sur l’alcoolisme (Tom Paxton). Quant à Il faut que je m’en aille, souvent nommée « les retrouvailles », le contenu du texte (sur la nostalgie et le temps qui passe) a été relégué au second plan pour laisser la place au seul refrain où, là aussi, il est question de boire un coup, mais une dernière fois et surtout à « l’amour, la joie » (que reprenaient parfois en écho même ceux qui chantaient la chanson en solo !). Bref, voilà des chansons qui eurent tôt fait de passer pour des chansons à boire au même titre que les Chevaliers de la table ronde et tant d’autres.
Il y a peut-être eu des malentendus sur la nature des chansons de Graeme*, mais une chose est sûre : qui a assisté, jusqu’ à récemment, à un de ses concerts, devant des salles combles, a pu constater que chacun dans le public savait par cœur les paroles de ses chansons les plus connues. Pourtant, Graeme n’a jamais fait l’objet du matraquage radiophonique et télévisuel qui créait habituellement les tubes. S’il a fait l’objet d’une promotion « ordinaire » dans le métier à la fin des années soixante et un peu début des années soixante-dix, le reste du temps il a vécu hors les médias (en grande partie parce qu’il l’avait choisi). C’est un genre de tour de force qu’il a réalisé là, aidé en cela, bien sûr, par la qualité des mélodies des chansons qu’il adaptait, et surtout par son génie de l’adaptation, mais quand même… Sans compter que quelques-unes de ces chansons ne devaient rien à personne d’autre que lui-même. Chapeau, Graeme !
Quelques grincheux de la chanson poétique (pratiquants ou amateurs du genre), agacés par son succès populaire, ont peut-être tordu le nez sur ces chansons en les regardant de haut, mais dans sa grande majorité le public amateur de chanson, « de qualité » ou non, a aimé les chansons de Graeme Allwright et les a chantées. Et peut-être à travers elles ces gens ont-ils deviné et aimé l’homme aussi, d’une grande simplicité et d’une belle humilité.
Comme me le faisait remarquer Floréal, mon complice de C&R, il a fallu que cela soit un Néo-Zélandais francophone qui réussisse cette performance ! Comme quoi il n’y a pas qu’au rugby que ces gens des antipodes sont les plus forts !
Pierre Delorme
* Graeme n’est pas le seul à avoir connu ce genre de succès. Nombreux furent ceux qui chantaient Les copains d’abord à tue-tête sans savoir qui étaient Castor et Pollux ou Montaigne et La Boétie… Magie de la chanson et des refrains merveilleux !
Comme je l’avais fait pour Gilles Vigneault j’ai préféré écrire un hommage à Graeme Allwright quand il était vivant. Il a laissé un vif souvenir sur le causse. https://yetiblog.org/archives/13604