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Je chanteLes paroles des chansons supportent-elles d’être dites, déclamées, scandées ? Est-il pertinent de les priver de leur musique et de les rendre ainsi à leur simple état de texte versifié ?
On pourrait penser a priori que ce genre d’exercice n’a aucun sens, pas plus qu’il n’y en aurait à donner les dialogues d’un film sans les images ou le dessin des figures d’un tableau sans les couleurs.
Cependant, on connaît de nombreux poèmes mis en musique qui sont devenus des chansons alors qu’ils étaient destinés au départ à la lecture silencieuse ou à haute voix. On comprend mieux que dans la chanson dite d’auteur, où l’écriture du texte reste indépendante de la composition de la musique et souvent la précède, les paroles puissent très bien supporter la lecture, comme les poèmes.
Cela semble particulièrement vrai dans le cas des auteurs chanteurs qui ne sont pas les compositeurs des chansons qu’ils interprètent. Voici quelques exemples.
Claude Nougaro, à la fin de sa vie, a donné des récitals où il disait les paroles de certaines de ses chansons comme s’il s’agissait de fables. Il avait intitulé ce spectacle Les fables de ma fontaine. Claude Nougaro était avant tout auteur, rarement compositeur des mélodies qu’il chantait.
Bernard Joyet est, lui aussi, auteur, même s’il suggère des éléments de mélodie aux musiciens avec qui il travaille. Il vient de donner ses textes en récital, sans musique.
Allain Leprest, qui ne composait pas, écrivait des textes que d’autres mettaient en musique pour lui. Le comédien Philippe Torreton donne aujourd’hui un spectacle où il dit ces textes que Leprest chantait.
On imagine aisément un spectacle de la même nature avec les paroles des chansons de Jean-Roger Caussimon, que Léo Ferré, entre autres, a pourtant merveilleusement mis en musique.
A la différence des paroles de chansons de « consommation », de chansons à danser, que la lecture à haute voix sans musique peut faire tomber facilement dans le ridicule, les chansons dont les paroles sont plus ambitieuses, y compris celles d’auteurs qui sont aussi compositeurs, peuvent supporter très bien cette épreuve, à la condition que l’interprète y mette du sien. Pour celles dont l’ambition poétique est plus grande et dont le texte « tient à la page », on imagine même très bien leur lecture silencieuse, comme celle de poèmes.
Si les paroles peuvent rester indépendantes de leur mélodie, cela tient bien sûr à leur qualité, mais on peut aussi se demander si cela ne tient pas parfois à la faiblesse, ou du moins à l’absence de caractère des mélodies. On se pose d’ailleurs rarement la question de savoir si la mélodie de telle ou telle chanson supporterait d’être jouée privée de ses paroles sans devenir indigente, voire ridicule.
Les grands auteurs et compositeurs de l’âge d’or de la chanson dite « à texte » ont écrit des paroles poétiques et ambitieuses, mais ils les ont données à travers des mélodies très riches, pleines de caractère. Ces chansons touchaient aussi bien l’amateur de simples ritournelles qu’on sifflote distraitement, que l’amateur de prosodie et d’émotion poétique. On peut d’ailleurs être sensible à la poésie et aussi aux ritournelles accrocheuses, ça n’est pas incompatible.
Imagine-t-on les grandes chansons de cette époque amputées de leur musique ? Bien entendu n’importe quel « diseur » de bonne volonté peut obtenir un bon résultat en disant Brassens, Brel ou Ferré (les trois figures emblématiques du genre), mais les paroles ne sembleraient-elles pas devenues infirmes ? Quel intérêt aurait-on à donner La non-demande en mariage en lecture, par exemple ? Le texte fort beau et poétique, certes, se trouverait privé de l’extraordinaire travail de découpage du vers que le rythme de la mélodie impose. Le texte serait privé de la « lecture » qu’en donne la musique. On pourrait multiplier les exemples.
On peut évidemment penser (comme Bernard Joyet) que chanter les paroles d’une chanson n’est qu’une interprétation possible du texte. Cependant, bien des mélodies par lesquelles les paroles sont données restent finalement très proches de la prosodie du vers et du rythme « parlé », elles permettent simplement de chanter les vers. Dans ce cas, il y a entre la diction et le chant moins de différence qu’on pourrait le croire, seules les notes tenues en fin de vers viennent rappeler qu’il s’agit de chant. D’autres mises en musique imposent au texte un débit très éloigné, ou du moins très différent de celui de la diction, dans ce cas nous avons affaire à de véritables chansons et non plus à de simples vers chantés. Les paroles et la musique sont alors indéfectiblement liées.

Pierre Delorme

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