J’ai écouté la webradio d’Hexagone, dont le projet fort louable est de diffuser une programmation constituée à 100% de chanson française, actuelle et plus ancienne.
Il existe donc ainsi sur la Toile un « robinet à chanson française » qu’il suffit d’ouvrir quand on a « soif ». C’est la chanson courante. Courante comme l’eau du même nom, courante comme les affaires qu’on expédie, courante comme tout ce qui est ordinaire et banal. Banal, c’est pour tout le monde. Les voix s’y ressemblent beaucoup d’ailleurs et manquent le plus souvent singulièrement d’énergie, au moins pour mon goût.
La chanson n’a plus rien d’extraordinaire. Dans ma jeunesse, la chanson de bon goût (c’est-à-dire celle qui me plaisait) était plus rare. Il nous fallait attendre telle émission de radio à telle heure pour avoir une chance d’entendre ce que nous aimions. Ou encore attendre d’avoir une tirelire suffisamment garnie pour acheter le disque 45-tours, ou plus rarement 33-tours, du chanteur de notre cœur. Les chansons étaient plus rares et nous faisaient donc du profit. Les plus belles étaient précieuses.
J’ai l’impression que nous sommes dans une période d’inflation qui galope à la vitesse d’un cheval de course. La chanson perd sa valeur, elle est trop nombreuse. Même quand elle est belle, elle n’a plus rien de précieux, sauf ses voix parfois si maniérées qu’elles sont « précieuses » mais aussi ridicules. La plupart des jeunes chanteuses chantent comme des petites filles et les chanteurs comme des ados lymphatiques*. D’où sortent-ils, que cherchent-ils, où vont-ils ? Peut-être qu’ils chantent de bonnes choses, mais on n’a pas envie de les écouter, on a plus envie de leur donner un coup de pied au cul pour qu’ils se secouent une bonne fois.
En période d’inflation, l’argent perd sa valeur, les prix grimpent, le phénomène est bien connu. Les périodes d’inflation sont généralement suivies d’une période de retour à une monnaie forte et à la stabilité des prix. C’est un cycle. Après cette inflation reviendrons-nous à une chanson « forte » et plus rare ?
Pierre Delorme
* J’ai entendu à la suite des chansons d’Allain Leprest et Manu Galure. Malgré les qualités vocales « particulières » du premier, buveur et fumeur invétéré, il avait l’air d’un Caruso à côté du second, le jeune Manu Galure.
Je suis d’accord avec toi, Pierre, et je signe des deux mains. Cependant, il y a quelques années de ça, nous avions des chanteurs à voix du genre Lara Fabian, Florent Pagny ou Céline Dion, je ne suis pas sûr que c’était mieux… Peut-être que le problème est ailleurs. Il y a forcément un mimétisme de mode qui opère.
Ce que j’évoque n’est pas une affaire de puissance, mais plutôt d’énergie, de présence vocale.
Cher Pierre,
« Nous voilà vieux ma vieille »… chantait Leprest. Mais, enfer et putréfaction, sommes-nous devenus des vieux cons ?
Combien de fois ai-je jeté une oreille sur la production d’un jeune nom inconnu — de moi — alléché par quelque mot aimable sur son compte ? Et combien de fois ai-je été déçu ?
Les jeunes cons seront tentés de jeter des pierres aux vieux cons. Ils auraient tort.
« Il nous fallait attendre telle émission de radio à telle heure pour avoir une chance d’entendre ce que nous aimions. » Si j’efface les rubans et falbalas qui embellissent les souvenirs, une bonne émission de mes jeunes années ne me proposait que deux-trois chansons qui me plaisaient vraiment en sus des deux chansons qui se laissaient écouter mais ne m’auraient jamais fait ouvrir ma bourse si toutefois elle avait été garnie. Le reste des chansons de « mon » émission favorite m’indifférait. Voilà qui pondère sévère ma nostalgie quand je branche mon rétroviseur mental.
Aujourd’hui la facilité à enregistrer nous permet d’écouter au fond de nos fauteuils une myriade de bluettes qui, naguère, n’auraient pas franchi les divers filtres conduisant à la galette de vinyle. Eh bien, il faut rapprocher cela des cohortes de guitaristes impétrants — deux ou trois accords mais pas plus ! — qui ont assommé nos soirées musicales de jeunesse. Je garde le souvenir, ancien mais cuisant, d’un gugusse déguisé en pâtre d’opérette qui m’a gonflé aussi prodigieusement qu’une bimbo contemporaine à voix de crécelle programmée par France Inter durant une toute récente grève.
Comme j’ai tout de même du mal à me passionner pour nombre de productions chansonnières contemporaines, je retourne souvent à mes amours classiques. En ce moment c’est souvent Rachmaninov qui tourne. Son posthume Trio élégiaque en sol mineur recèle une mélodie du tonnerre qui ferait bien une chanson…
Bien sûr, tout n’était pas « mieux avant », comme peuvent parfois l’affirmer de vieilles personnes en mal d’imagination et qui idéalisent l’époque de leur jeunesse, voire qui fantasment sur quelque chose qui n’a jamais existé.
Mais au prétexte que l’on a atteint, ou qu’on va atteindre, un âge appelé le « troisième âge », doit-on s’interdire toute critique du monde qui nous entoure et toute comparaison avec une époque plus ancienne que nous avons connue, afin d’éviter d’être catalogué comme un vieux con ?
Non, tout n’était pas « mieux avant », c’est vrai, mais tout n’est pas « mieux maintenant » non plus. Dire qu’il y a aujourd’hui une inflation de chanson et qu’elle perd du même coup de sa valeur, comme la monnaie, n’est-ce pas la simple constatation d’une évidence ? Il ne s’agit pas de dire que les chansons étaient « mieux avant », mais de dire qu’avant qu’il y en avait moins et que celles que nous aimions étaient en conséquence plus précieuses. Ce qui ne signifie pas que toutes les chansons nous plaisaient ou que toutes valaient davantage qu’une chanson d’aujourd’hui.
Dire que la façon de chanter de la plupart des jeunes pousses ne nous séduit pas et que l’esthétique vocale « sans énergie » ne nous touche guère, c’est une opinion. Doit-on s’abstenir de l’exprimer pare qu’on est devenu vieux ? Si oui, à partir de quel âge doit-on se taire ?
En prévision d’un futur déménagement je fais du ménage. Je viens de jeter une oreille sur une respectable pile de disques des années 2000 à 2006 ou 2007. Par acquis de conscience. Avant de mettre les « démos » à la poubelle ou de donner les albums complets à quelque association.
« On est bien peu de chose et mon amie la rose… » Tous les noms ou presque sont tombés dans l’oubli et mon moteur de recherche ne trouve pas la moindre occurrence pour certains au cours de douze derniers mois.
Et je me dis que, jeune ou vieux, le public n’a finalement eu plus d’attrait que moi pour tous ces candidats à une carrière chansonnière.