A la suite de la publication, sur ce site, de deux articles accompagnés de vidéos* où Georges Brassens et Jean Ferrat, d’une part, puis Marie Laforêt et à nouveau Jean Ferrat, d’autre part, évoquent l’engagement en chanson, un débat s’est ensuivi sur un réseau social bien connu. Nous avons alors eu l’idée de demander à sept artistes ayant participé à cette discussion de nous livrer ici leur conception de la « chanson engagée » ou leur façon de comprendre cette expression.
Nous vous proposons donc ci-dessous leurs contributions, au rythme d’une par jour. Nous avons opté pour l’ordre alphabétique. Aujourd’hui : Hervé Akrich.

* Voir « Deux hommes sur un canapé » et « La chanson engagée, c’est le vol ! ».

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Hervé AkrichC’est vrai que ce terme fait un peu peur. Il a souvent été très connoté. Peut-être d’ailleurs que Ferrat y est pour beaucoup. Chez la génération de mes parents, c’était ça : on s’extasiait devant l’audace de Ferrat ou de Bedos qui osaient sur scène citer un nom d’homme politique ou d’intello pour permettre au public de se soulager un peu. Ça tenait lieu de courage politique. Drucker soulignait bien l’engagement de l’artiste et tout le monde s’y retrouvait.
Est-ce qu’au moment d’écrire on se dit « Tiens ce coup-ci j’vais faire une chanson engagée » ? Effectivement on a cette impression parfois chez Ferrat et encore plus chez Bedos, même si lui c’est pas des chansons. Cette idée de vouloir coller à son étiquette, entretenir un certain fonds de commerce.
Perso je suis assez incapable de dire quelles sont mes chansons engagées et quelles sont les autres, les dégagées. Je pourrais aussi considérer que je fais plein de chansons engagées pour dénoncer ma mort prochaine, ou pour lutter courageusement contre le temps ou le conformisme, ou les pannes d’érection…
N’importe quelle chanson propose une façon de voir les choses et de les dire, me semble-t-il. Transcrire une émotion, trouver l’angle, la forme, les mots, les images pour que d’autres s’y retrouvent, et reconnaissent dans cette proposition une traduction originale de leur ressenti, que ce soit pour parler d’une rupture amoureuse ou d’un viol collectif ou du scandale de l’obligation de porter un casque à moto…
La qualité de la chanson ne vient pas de la cause qu’elle défend. Même pour une cause inattaquable (et surtout pour une cause inattaquable), y a des chansons qui ne me font rien du tout en raison de leur forme. Si je sens que le gars a voulu coller à l’actu ou se conformer à l’air du temps, aller dans le sens de l’histoire, j’écoute plus. A moins qu’il ait trouvé une façon de dire qui me surprenne.
Dans les années soixante, voir comme deux chansons qui parlent de la peine de mort nous cueillent : Le gorille et Si la photo est bonne. Bon d’accord on finit par se réjouir si on n’est pas trop pour la peine de mort. Mais, pour ou contre, on est bien obligé d’admettre que Brassens comme Barbara ne nous sont pas rentrés dedans, nous ont emmenés dans leur histoire en trouvant autre chose à dire que « la peine de mort c’est dégueulasse ! ».
Foule sentimentale c’est une chanson engagée. Qu’est-ce qu’ils sont cons  de Mathieu Côte aussi. Didier Super, ça plaît ou ça plaît pas, mais si ça plaît c’est sûrement pas pour les causes qu’il défend. C’est la forme qu’il donne au truc qui nous parle et nous réjouit.
Brel, Les flamingants, est-ce qu’on peut faire plus cruel ? Tout est calme de Loïc Lantoine. Ils vendent tout de Thomas Pitiot. Les dames de gauche ou L’aveugle de Sarclo. Chez Ferrat je sauverais quand même La jungle et le zoo.
C’est pas pour enfoncer encore Ferrat, mais « Je ne chante pas pour passer le temps, mais pour me rendre intéressant » (c’est pas le titre, mais va retrouver un titre chez Thiéfaine, toi) est une chanson jubilatoire. A propos des Deux oncles, je trouve que Brassens vise plus juste dans La tondue.
Un dernier truc : dans une chanson « engagée » encore plus qu’ailleurs, la nécessité de l’humour est évidente. Le gars qui ne ressent pas cette obligation de bien préciser qu’il n’est pas là pour donner de leçon, avec ce petit clin d’œil qui dit « attention je suis encore capable de m’amuser de ma propre posture de dénonciateur », ça veut dire qu’il assume complètement le premier degré. Ça veut dire qu’il prêche, qu’il n’envisage pas que sa chanson arrive dans d’autres oreilles que celles de ses copains. Si y a pas l’humour, il faut au moins un élémentaire rappel à la modestie. Sinon, ça donne effectivement Ferrat plutôt que Brassens (ou Aux armes de Mellismell qui m’est insupportable).

Hervé Akrich

1 commentaire »

  1. Sarclo dit :

    Oh merci mon Akrich, la Melismell tu me l’as enlevée de la bouche.

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