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Duel 2Avant de se rencontrer sur un plateau de télévision, face à Jean-Pierre Chabrol, pour débattre de la question de l’engagement en art (fameux débat télévisé de 1969, pieusement conservé dans les archives de l’INA), Brassens et Ferrat s’étaient précédemment « affrontés » par chanson interposée.
Brassens avait publié un album où figurait la chanson 
Le Pluriel, à laquelle Ferrat avait répondu par En Groupe, en ligue, en procession. Le premier écrivait au refrain : « Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on / Est plus de quatre on est une bande de cons. » A quoi le second répondait : « On peut me dire sans rémission / Qu’en groupe en ligue en procession / On a l’intelligence bête / Je n’ai qu’une consolation / C’est qu’on peut être seul et con / Et que dans ce cas on le reste. »
Points de vue on ne peut plus opposés. Au bistro ou au meeting du coin, on peut éventuellement s’insulter ou en venir aux mains, mais chez les grands artistes populaires, on échange à fleuret moucheté, on ne joue pas des poings, on n’envoie pas non plus ses témoins, on envoie une chanson. Pour le plus grand plaisir du public qui se reconnaît dans l’un ou dans l’autre des auteurs et qui « biche », comme dirait Brassens (pour les plus jeunes, « bicher » correspond en gros à « kiffer » aujourd’hui).
Ce duel entre deux grands de la chanson ne fut pas le seul. On gardera en mémoire Antoine
versus Johnny dans les années soixante. C’était plus léger. Antoine chantait dans son tube, Les Élucubrations«Tout devrait changer tout le temps / Le monde serait bien plus amusant / On verrait des avions dans les couloirs du métro / Et Johnny Hallyday en cage à Medrano » . Ce à quoi Johnny (avec son parolier Gilles Thibault) avait répliqué par la chanson Cheveux longs et idées courtes : « Si les mots suffisaient pour tout réaliser / Assis sur son derrière avec les bras croisés / Je sais que dans une cage je serais enfermé / Mais c’est une autre histoire que de m’y faire entrer. »  Les teenagers de l’époque bichaient aussi grandement ! Il y eut même du rififi dans les cours de récré. C’était charmant.
Il y a eu d’autres échanges de ce style à la même époque, et, chose troublante, on y croise souvent Jean Ferrat.
Léo Ferré chantait-il le poème d’Aragon Je chante pour passer le temps, voilà Ferrat qui, quelques années plus tard, se fend d’un Je ne chante pas pour passer le temps.
Jean Ferrat chantait aussi Aragon et on le retrouve, mais à son corps défendant, dans une chanson de Jacques Brel, La ville s’endormait, belle chanson poétique et contemplative où soudain de manière abrupte (voire inexplicable !) Ferrat (et Aragon) font irruption au cours d’un furieux accès de misogynie du grand Jacques : « Mais les femmes toujours / Ne ressemblent qu’aux femmes / Et d’entre elles les connes / Ne ressemblent qu’aux connes / Et je ne suis pas bien sûr / /Comme chante un certain / Qu’elles soient l’avenir de l’homme. » Un « certain », qui avait chanté La femme est l’avenir de l’homme, a dû apprécier… ou sourire.
Quand ce n’est pas Jean Ferrat qui s’y colle, Gilbert Bécaud arrive à la rescousse, dans Orly, du même grand Jacques :  «La vie ne fait pas de cadeau! / Et nom de dieu !  C’est triste Orly le dimanche  / Avec ou sans Bécaud » , référence à une célèbre chanson de Gilbert Bécaud, Dimanche à Orly (paroles de Pierre Delanoë).
Quant à Brel, il est épinglé à son tour par Léo Ferré qui, peut-être agacé par l’immense succès d’Amsterdam, écrit son Rotterdam. Léo « parle » son introduction : « Il n’en restait plus qu’un / Et c’était celui-là / Un port du Nord ça plaît / Surtout quand on n’y est pas / Ça fait qu’on voudrait y être / Ça fait qu’on n’ sait pas bien / S’il faut s’taper l’poète / Ou s’taper la putain… d’ Rotterdam. » C’est assez clair et on appréciera les points de suspension.
On peut sans doute évoquer d’autres « duels » de ce genre, notamment Vivre pour des idées de Leny Escudero contre Mourir pour des idées de Georges Brassens. Cependant, malgré la symétrie des titres, Vivre pour des idées n’était pas une réponse à Mourir pour des idées. C’est Leny qui le disait, sa chanson était antérieure à celle de Brassens. Cependant l’occasion était trop belle d’imaginer là une nouvelle controverse enchantée.

Pierre Delorme

5 commentaires »

  1. Bruno RUIZ dit :

    Joli texte Pierre. Connais-tu la chanson de Claude Réva « Vivre pour des idées » qui, elle, est une réponse directe à celle de Brassens ?

    https://www.youtube.com/watch?v=sV5FTO9aSUk

  2. Marc Havet dit :

    Suite à « Je chante pour passer le temps » d’Aragon/Ferré, Ferrat avait écrit : « Je ne chante pas pour passer le temps » et puis Thiefaine est arrivé pour dire: « Je ne chante pas pour passer le temps.. Mais pour me rendre intéressant ! »
    A suivre.

  3. Ivan Perey dit :

    Voir aussi « Les deux voisins » de Pierre Louki, qui n’avait pas apprécié du tout « Les deux oncles » de son ami Brassens.

    • Norbert Gabriel dit :

      Louki n’avait jamais dit à Brassens qu’il s’était engagé dans la Résistance suite à la mort d’un ami tué par des miliciens, et il y a eu un silence qu’il a très mal vécu, jusqu’à ce que Brassens le rappelle, mais ça a duré un an ou deux.. Et Brassens n’a jamais su que Louki s’était engagé, Louki en a parlé longtemps après .. Il me semble que c’était dans le livre qu’il a publié l’année où il est mort .. Il nous avait raconté ça dans le long entretien qui est dans le DVD ..

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