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i16298485-georges-brassens-a-propos-de-son-engagement-perC’était une autre époque, en 1969. Deux hommes sont assis sur un canapé et ils discutent. L’art doit-il être engagé ? L’engagement en art peut-il être efficace ? C’est leur sujet. L’un y croit, comme il croit à l’efficacité de la force collective. L’autre n’y croit pas, il ne jure que par l’individu. L’un pense que l’art, à défaut de changer le monde, peut contribuer à nous faire prendre conscience de la nécessité de son changement. L’autre pense que peut-être un « art pur » peut changer les choses, mais il faudrait avant tout que l’Homme change, et ça, c’est pas demain la veille*, etc.
Ces deux hommes étaient des faiseurs de chansons, très célèbres, Jean Ferrat et Georges Brassens. On les connaît encore aujourd’hui, au moins un peu.
Chacun parle dans le registre qui fut le sien. Ferrat qui discute avec Brassens, c’est le « collectivisme » opposé à l’individualisme, c’est le reflet d’un affrontement fréquent dans ces années-là, dans les petits bistrots de province aussi bien que dans les cercles intellectuels et universitaires de la capitale. La société de cette époque est traversée par cette opposition, comme le monde lui-même. Brassens et Ferrat pensent comme leur époque, chacun à sa façon, et en cela leurs pensées sont assez banales, en tout cas bien plus banales que leurs merveilleuses chansons.
Aujourd’hui, le monde communiste a disparu, le libéralisme échevelé triomphe sans partage. Se pose-t-on encore la question de l’engagement dans l’art, ou simplement dans la chanson ? Il semblerait que non, et le sujet peut faire sourire ou même ricaner. Peut-on seulement imaginer deux chanteurs célèbres assis sur un canapé et discutant ce genre de problème à la télé ? La chanson dite « engagée » s’est réfugiée dans les marges du métier, voire dans la clandestinité, où ne s’aventurent ni les micros ni les caméras de la radio et de la télévision. Peut-être ce genre d ‘échange de points de vue pourra-t-il renaître sur les réseaux dits sociaux, ça n’est qu’une question de volonté, filmer et enregistrer des vidéos ne coûte plus grand-chose. Alors, pourquoi pas ?

Pierre Delorme

* Pour qui aime à voir en Georges Brassens une sorte de maître à penser, un genre de philosophe moraliste, ou encore un analyste perspicace, à défaut d’un sociologue, de « notre » société, les arguments qu’il oppose au discours « marxisant » de Jean Ferrat sont confondants de banalité et bien décevants. Ils ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux que j’entendais dans ma jeunesse de prolo, au bistrot ou dans les repas de famille… notamment le cliché qui consiste à dire qu’il est inutile d’essayer de changer les choses et notamment le monde social, puisque « Tant que  l’Homme sera l’Homme… »

7 commentaires »

  1. Un partageux dit :

    La platitude de ces propos m’a affligé naguère. Et puis je me suis dit que l’un et l’autre n’étaient pas des professeurs de philosophie, d’éminents sociologues ou des mandarins de quelque autre discipline universitaire. Qu’ils s’exprimaient dans un registre qui leur convenait — la chanson — et qu’il était peut-être maladroit ou aventureux de leur demander de passer à un tout autre registre.
    La déception devant un albatros si à l’aise dans les airs mais si pataud sur la grève…

    • administrateur dit :

      Je pense la même chose que vous. Voici, si vous avez la patience de le lire, un extrait d’un texte que j’avais écrit sur le sujet, « Les Chanteurs ne sont pas des penseurs » :
       » Souvent dans le cas des « grands chanteurs » à texte, comme Brassens par exemple, nous avons l’impression d’avoir affaire à une pensée construite, « brassenssienne » en l’occurrence, une pensée ou plutôt une morale, un art de vivre. (Bertrand Dicale vient d’y consacrer un ouvrage Brassens ?)
      Brassens a écrit des chansons magnifiques, géniales, mais faut-il lui demander autre chose que de belles chansons ? Peut-être ne faut-il pas chercher trop loin.
      Dans un dialogue avec Jean Ferrat (disponible sur Internet), au sujet de l’engagement, ou non, en art, Brassens dévoile un peu son état d’esprit. Si pour Ferrat l’art ne peut pas changer la société mais aider les gens à prendre conscience qu’il faut la changer, Brassens reste très pessimiste quant aux possibilité de changer quoi que ce soit (même s’il aimerait bien, dit-il) au prétexte ,selon lui, qu’il faut d’abord que les hommes changent, et tant que l’homme n’aura pas changé rien ne changera etc.
      C’est très décevant pour qui aime à voir en Brassens une sorte de maître à penser, car ce genre d’argument a été entendu mille fois déjà, au Café du commerce comme dans les repas de famille trop arrosés. Ah l’Homme, la fameuse « nature humaine » dont évidemment personne n’est capable de dire ce dont il s’agit ! Cette « nature humaine » (supposée donc toujours identique, et mauvaise, quelle que soit la société et quelles que soient les conditions dans lesquelles vivent les hommes) est convoquée dès qu’il s’agit de justifier l’inanité de l’action, l’absence d’engagement et finalement l’absence de volonté de changer les choses, même si on aimerait bien etc. Le discours est connu, un peu réac finalement, comme on disait il y a quelques années.
      Brassens avait les opinions qu’il voulait ou qu’il pouvait, même dignes du Café du commerce, ça le regardait, il pouvait même parfois essayer de les dire dans certaines chansons (Mourir pour des idées, Le boulevard du temps qui passe, Les deux oncles par exemple), ça n’a pour moi aucune importance. À la condition bien sûr de le prendre pour ce qu’il est avant tout, un génial auteur-compositeur de chansons, et ne pas chercher à voir en lui une sorte de penseur ou de moraliste. Il a réussi quelques chansons extraordinaires qui sans doute resteront longtemps dans notre patrimoine. Ça n’est déjà pas si mal et il ne faut peut-être pas trop en demander ! Brassens lui-même disait que lorsqu’il était derrière sa table avec sa guitare à écrire des chansons, il était à sa véritable place. Il ne se prenait pas pour un penseur ou un moraliste, même pas un poète (ce qui était quand même, à mon avis, un peu une forme de coquetterie chez lui). Il estimait n’écrire des chansons que pour divertir un moment ceux qui les écoutent.
      Dans un autre registre, Bob Dylan, qui fut le chantre (à son corps défendant ou pas) de toute une génération de jeunes Américains révoltés, expliquait lui aussi qu’il n’y connaissait rien en politique mais qu’il était « bon avec les mots », c’est tout.
      Même si parfois ils ne rechignent pas à cultiver l’ambiguïté, ne faisons pas penser les chanteurs plus qu’ils ne chantent. S’ils savent réussir parfois de belles chansons, ça n’est déjà pas si mal. Pour le reste il y a le Café du commerce, la famille, ou encore éventuellement les bibliothèques.  » Pierre Delorme

    • Claude J dit :

      Je crois qu’il peut y avoir parfois plus de vérité dans deux vers d’un poète que dans nombre de traités philosophiques ou sociologiques.
      Notre boulot, à nous, peut-être, si on aime ça et si l’on croit ça utile, est d’expliquer le texte, comme on disait à l’école autrefois…

      • administrateur dit :

        Merci de nous lire et merci de votre commentaire. On peut penser, effectivement, qu’il y a « plus de vérité dans deux vers d’un poète que dans nombre de traités philosophiques ou sociologiques ». C’est bien possible, mais cela n’empêche pas de lire lesdits traités. Aimer la poésie et la chanson n’est pas incompatible avec l’étude des sciences humaines, elle peut même permettre d’apprécier encore davantage la justesse des deux vers en question. C’est du moins l’expérience que j’en ai. Cordialement.

  2. Un partageux dit :

    « Les Chanteurs ne sont pas des penseurs. » C’est peu ou prou ce que disait Alain Souchon dans un entretien lu il y a bien vingt ans. « Les chanteurs sont des gens de la rue » disait-il en substance. Dans son esprit cela venait en opposition au savoir universitaire (son regret rémanent de n’avoir pas fait d’études). Mais il précisait que même les gens de la rue pouvaient tout de même avoir quelques idées et les formuler à leur façon…

    Il faudrait aussi distinguer l’écrit et l’oral. On n’est pas forcément bon dans les deux domaines. Je songe à un prof de philosophie de mes connaissances, vraiment brillant à l’écrit, qui est une tache dès qu’il prend la parole. Textes très structurés impeccablement argumentés. Abominable bouillie confuse à l’oral. C’est un supplice à entendre…

    Et vous savez bien qu’une chanson est d’abord écrite avant d’être chantée.

    • administrateur dit :

      Un texte de chanson n’est pas un texte de philosophie ou de sociologie. Il ne s’adresse pas à l’intellect, mais d’abord à l’émotion. Sa construction répond à d’autres critères. Mais, bien sûr, les chanteurs ont le droit d’avoir des idées comme tout le monde et donc même des idées banales, le problème vient du fait qu’elles prennent, en raison de leur notoriété d’artiste, une importance disproportionnée auprès de leurs admirateurs.

  3. Un partageux dit :

    Bien sûr que les chanteurs ont le droit d’avoir des idées ou des émotions. Mais je préfère qu’ils les expriment en chanson… 🙂
    Je rêve d’une radio ou d’une télévision qui ne donnerait jamais la parole aux chanteurs, comédiens ou autres zartistes. Pour nous épargner tant de moments pénibles, comme celui qui fait l’objet de votre chronique, et pour laisser place à leurs œuvres. 🙂

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