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justesseNous avons évoqué, dans un article récent*, les voix de Dylan et Cohen en insistant sur le fait qu’elles avaient été l’élément primordial de leur succès international. Des voix remarquables, extraordinaires, identifiables dès les premières mesures d’une chanson. Il est frappant de constater qu’on évoque rarement la voix des chanteurs lorsqu’ils sont auteurs et compositeurs de leurs chansons. C’est un paradoxe, car même s’ils ne sont pas des vocalistes hors pair, leur timbre de voix doit exercer un charme suffisant pour atteindre un grand nombre de personnes, y compris celles qui ne comprennent pas la langue dans laquelle sont écrites les paroles.
Les auteurs-compositeurs de chez nous, cantonnés aux marges du métier, écrivent parfois de belles chansons, notamment de très beaux textes. Cependant, il leur manque souvent un timbre de voix suffisamment touchant pour espérer qu’un plus vaste public ait accès à leurs textes. Parfois, ils ont aussi des voix de grande qualité, et pourtant ça ne « marche » pas. A l’inverse, des gens comme Brassens, ou Renaud ensuite, qui furent loin d’avoir de véritables qualités vocales de « chanteur », touchèrent quand même le grand public.
Ce qui manque dans le cas de ces artistes qui peinent à séduire un public plus large, malgré leurs qualités vocales et leurs belles chansons, se trouve quelque part dans une sorte de défaut d’adéquation entre leur voix et leur répertoire. Cette adéquation se doit d’être parfaite, afin que la voix puisse s’épanouir et donner le meilleur d’elle-même, quelles que soient ses caractéristiques. Il s’agit de trouver une cohérence qui, lorsqu’elle manque, est perçue immédiatement comme un manque de « justesse »**. Si la voix et son répertoire ne s’emboîtent pas au petit poil, les carrières ne peuvent pas vraiment décoller, malgré toute la bonne volonté, le talent d’auteur de l’artiste et la sympathie qu’on peut éprouver à son endroit.
Ajoutons que dans le cas de Leonard Cohen, qui nous occupait au début de cet article, les premières chansons qu’il a proposées sonnaient de façon tout à fait neuve. Comme Brassens a « sonné » de manière inédite en son temps. Trop d’artistes considérés par leur petit public comme injustement oubliés des médias, et donc du grand public, ont (ou ont eu) effectivement beaucoup de talent, mais à aucun moment ils n’ont eu la capacité de proposer quelque chose de neuf, ce quelque chose qui se niche dans l’adéquation entre la voix et le répertoire, dans la cohérence, dans la justesse.
Pour atteindre cette justesse, trouver sa propre « sonorité »  et une plus grande musicalité, même avec une voix ordinaire, peut-être les artistes de la « chansons française de qualité » devraient-ils écrire et composer leurs chansons comme s’ils les destinaient à un public non francophone. Loin de les empêcher d’écrire de beaux textes, cela leur éviterait d’en faire le seul « atout », le seul argument de leurs chansons.

Pierre Delorme

* http://www.crapaudsetrossignols.fr/2016/11/15/deux-grandes-voix/

** On parle ici d’une justesse qui n’a rien à voir avec les problèmes d’intonation (note trop haute ou trop basse), mais de la justesse qu’on évoque aussi bien en parlant du jeu d’un comédien auquel on croit que d’un footballeur qui joue « juste » parce que ses passes atteignent au centimètre près le joueur qu’il faut au moment où il faut (cf. La passe de Pelé à Carlos Alberto en finale de la Coupe du monde à Mexico en 1970 !).

9 commentaires »

  1. Cyril C.Sarot dit :

    Porter la voix à la hauteur du texte… trouver la voix qui « casse les lignes », pour filer la métaphore footeuse (je ne sais pas comment Japhet N’Doram chantait, mais pour ce genre de passes c’était un maître !).

  2. Robert André dit :

    « Des artistes sont oubliés des médias car ils n’apportent rien de neuf », oui, sans doute, mais ça n’explique pas pourquoi bien d’autres sont médiatisés sans apporter grand-chose non plus. Ils ne peuvent pas tous s’appeler Leonard Cohen ou Georges Brassens.

    • administrateur dit :

      Globalement, ceux qui sont médiatisés et n’apportent rien de neuf retournent vite à l’anonymat. Ne demeurent que ceux qui ont apporté quelque chose d’original, même si leur originalité initiale est oubliée une fois qu’ils sont installés dans un paysage dont ils semblent faire partie depuis toujours. Pierre Delorme

      • Cyril C.Sarot dit :

        Cette histoire d’originalité ou de nouveauté a quand même ses limites.

        Voilà ce que je viens de lire sur ce thème, dans l’interview de l’écrivain Stéphane Bouquet accordée à la revue littéraire Le matricule des anges : « En fait, cette survalorisation du nouveau me semble une façon, pas toujours très consciente, de plaquer sur le champ esthétique le désir d’innovation hérité du fonctionnement du capitalisme. Pour que le capitalisme tourne, il faut toujours de nouveaux produits, de nouveaux marchés, de nouvelles sources d’énergies, etc. Alors non, je me passe du nouveau. Ce que je cherche c’est plutôt la justesse, la bonne résonance, la formule d’une bonne vie, d’une bonne phrase pour la bonne vie, et parfois cela implique de changer le cadrage, comme vous dites. Mais il arrive que ce changement de cadrage ne soit que la reprise d’une vieille recette de la poésie latine ou médiévale. »

        Je suis assez d’accord avec ça : toucher le grand public nécessite de répondre aux attentes du marché, qui veut du neuf, de l’original. Au moins autant que les questions de justesse ou d’adéquation entre la voix et le répertoire (franchement, si tout ce qui accède au marché était « juste », ça s’entendrait…).
        Après, si se foutre du marché et de ses attentes est une approche ô combien louable, c’est sûr qu’il vaut mieux l’assumer derrière et ne pas s’en plaindre. Or j’ai l’impression, comme toi je crois, que ce sont moins souvent les artistes ayant fait ce choix qui s’en plaignent que leurs admirateurs.

        • administrateur dit :

          En évoquant la « nouveauté » je ne faisais évidemment pas référence à celle affichée sur les emballages des produits de consommation qu’on trouve en grande surface ! Je crois qu’il faut distinguer le « neuf », « l’original » qui ne l’est pas vraiment et qui correspond à un simple changement d’emballage, et la nouveauté qui marque une rupture, qui fait qu’il y a un avant et un après.
          Si certains « artistes » et leurs maquignons cherchent à correspondre aux « attentes du marché », d’autres, plus ambitieux, proposent un ton nouveau qui trouve un écho inattendu sur le marché, comme Brassens en son temps, Alain Souchon ou Renaud ensuite. (Pour ne parler que des plus anciens, dont la longévité des carrières prouve bien que leur « originalité » était durable.)
          Les artistes actuels de la « chanson de qualité », celle qui reste aujourd’hui loin du grand public, du « marché », ne proposent rien de vraiment neuf par rapport aux productions des années cinquante et soixante, l’âge d’or de la « chanson à texte ». Leur talent n’est pas en cause, il est parfois même très grand, comme étaient grands le talent et le savoir-faire de Messonier ou Gérôme dans le domaine de la peinture, mais c’est pourtant Monet ou Renoir que l’on admire aujourd’hui. On pourrait multiplier les comparaisons, dans la littérature par exemple, et remarquer que plus personne ne lit Champfleury alors qu’on lit encore Flaubert, idem pour Léon Bloy ou Guy Mazeline et Louis-Ferdinand Céline.
          Dans le domaine de l’expression artistique (celle qui ne s’occupe pas uniquement du « marché »), seuls ceux qui proposent du neuf sont retenus.
          Quand il s’agit d’arts populaires comme le cinéma et la chanson, le problème est qu’entre le pur produit de consommation ou de divertissement, et le produit plus ambitieux, moins « grand public », il y a toute une gamme de nuances possibles et pas de frontière visible.
          « ..toucher le grand public nécessite de répondre aux attentes du marché ». Les attentes du marché ne sont parfois connues qu’a posteriori, une fois le succès rencontré par tel ou telle. Pensez-vous que Brassens ou Renaud aient eu une vison précise de ce qu’attendait le « marché » ? Ils ont simplement proposé quelque chose d’inédit qui a trouvé un écho auprès du grand public. Pierre Delorme

          • Cyril C.Sarot dit :

            « En évoquant la « nouveauté » je ne faisais évidemment pas référence à celle affichée sur les emballages des produits de consommation qu’on trouve en grande surface ! »
            L’écrivain auquel j’emprunte la citation non plus ! Il évoque simplement cette forme d’attrait, de fascination pour le neuf, l’original ou même la rupture qui parcourt l’art et qu’il explique – on peut ne pas être d’accord – par des réflexes plus ou moins consciemment intégrés nés des nécessités et du fonctionnement du capitalisme.
            Il ne s’agit bien sûr pas de dire que toute nouveauté est à bannir (ou qu’elle n’a absolument rien à voir avec la bonne réception d’une œuvre), ni qu’elle ne peut surgir que de démarches ou volontés forcément opportunistes, carriéristes. Mais qu’il y a peut-être un danger à courir derrière le neuf, le nouveau, la rupture ; tout comme il est vrai que la nouveauté peut surgir « naturellement », de logiques ou de nécessités internes à la création – comme le changement de cadrage évoqué par Bouquet – qui n’ont rien à voir avec les attentes du marché ; et l’exemple de Brassens semble être ici un bon exemple.

          • administrateur dit :

            De quoi parlait-il alors ? Les nécessités et le fonctionnement du capitalisme dans ce domaine, celui de la recherche de la nouveauté, ne s’expriment-ils pas avant tout dans le commerce, dans la recherche du profit ? Que la recherche de la nouveauté à tout prix dans le domaine de l’art en soit un écho, pourquoi pas ? Simplement, on peut constater que la postérité, en art, ne retient que ceux qui à leur époque furent novateurs. C’est vrai que la « fausse » nouveauté (ou originalité) actuelle dans bien des domaines d’expression prend beaucoup de place et masque le travail de gens de talent qui ne proposent rien de vraiment neuf mais qui produisent des choses qui pourraient intéresser un plus vaste public.
            Il me semble que ce qui distingue la démarche réellement originale de celle qui ne l’est qu’en apparence a quelque chose à voir avec le « respect » de la tradition sur laquelle elle s’appuie, quitte à « rompre » avec elle. Pour rompre, il faut qu’il y ait eu une liaison, un rapport! 🙂
            Ça me rappelle un gars que j’avais rencontré et qui m’avait dit qu’il était artiste. Quand je lui avais demandé ce qu’il faisait, il m’avait répondu « de l’avant-garde » !

  3. Cyril C.Sarot dit :

    Il parle de la survalorisation de la nouveauté dans son ensemble, pas celle qui se réduit à l’emballage (ce que pouvait laisser entendre ta phrase).
    Sinon oui, cent fois oui sur les liens avec la tradition. La nécessité, pour rompre, de rompre avec quelque chose. Ce que tu dis sur l’artiste d’avant-garde me fait penser à une autre survalorisation, celle de la fameuse transgression dans l’art contemporain (à la mode à une époque ; maintenant je n’en sais rien…) : l’important est de transgresser, peu importe quoi mais on transgresse, à vide, par principe, si bien qu’on finit par n’être transgressif de rien, si ce n’est de la transgression précédente.

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