Entre le prix Nobel de Bob Dylan et la disparition de Leonard Cohen on en aura entendu, et surtout lu, des vertes et des pas mûres sur ces deux-là. Ce qui est bien normal puisqu’il s’agit de deux « stars » anglophones, et donc planétaires, qui ont marqué fortement de leur empreinte la musique populaire internationale.
On s’est beaucoup étripé sur l’attribution du prix Nobel de littérature à Bob Dylan. Ceux qu’elle a scandalisés ne voient en lui qu’un auteur de chansons à succès (Vargas Llosa s’est fendu d’un magnifique : « Le Nobel à Bob Dylan, et pourquoi pas l’année prochaine à un footballeur ? »), les autres crient leur joie de voir récompensé un des plus grands poètes contemporains. Les louanges pleuvent aussi à la suite du décès de Leonard Cohen, « un immense poète », « le grand chantre de la mélancolie », et j’en passe.
Parfois, on évoque ces deux-là en disant simplement « musiciens », comme on fait souvent maintenant pour parler des auteurs-compositeurs de chansons. Cependant, et le fait me frappe, on parle assez peu de leurs voix. Pourtant, si ces deux chanteurs ont conquis une aussi large audience, dépassant les pays anglophones et même leur génération, c’est bien grâce au charme de leur voix, bien mise en valeur par les mélodies de leurs chansons. La grande majorité du public non anglophone a fait des triomphes à ces artistes sans forcément comprendre les paroles des chansons qu’ils écoutaient. Le recours à des dictionnaires et à des traductions plus ou moins habiles permettait d’avoir une idée de ce qu’ils racontaient, mais n’empêche, leurs chansons arrivaient en VO, sans sous-titres, et le charme opérait par l’instrumentation, la sonorité de l’anglo-américain, et surtout en premier lieu par le timbre de leur voix. Deux timbres et deux façons de chanter radicalement différents mais identifiables dès les premières mesures d’une chanson.
Bien entendu, ils ne sont pas que des « voix », il est normal de parler des paroles et des mélodies de leurs chansons. Mais aussi grandes qu’aient pu être leurs qualités, si on a pu les apprécier et dire, à tort ou à raison, que Bob et Leonard sont d’immenses poètes, c’est grâce avant tout à leur voix.*
D’ailleurs, c’est bien Leonard Cohen qui a écrit dans sa chanson Tower of Song :
« I was born like this, I had no choice
I was born with the gift of a golden voice »
(« Je suis né ainsi, je n’avais pas le choix/ Je suis né avec le don d’une voix d’or » ou « avec de l’or dans la voix », pour la rime !)
Pierre Delorme
*A quoi il faut ajouter, pourquoi le nier, une mise en scène parfaite des deux personnages, l’entretien permanent de leur « mythe », tout comme leur rivalité supposée à la fin des années soixante, bien orchestrée par l’industrie du disque et par les intéressés eux-mêmes. On les compara toujours et les anecdotes sont nombreuses. Leonard dira un jour que Bob Dylan était le Picasso de la chanson alors que lui-même en était est le Matisse ! C’est dire s’ils avaient une bonne opinion d’eux-mêmes !